Pour que dansent les Phyllies
Article initial en 4 parties
dimanche 4 mars 2007
par brunob , Arno

Le Monde des Phasmes n°19, pp. 16-21 (octobre 1992)


En parcourant les 18 numĂ©ros du "Monde Des Phasmes" parus jusqu’Ă ce jour on constate que près de la moitiĂ© d’entre eux contiennent tantĂ´t une simple note, tantĂ´t un article de fond se rapportant aux diffĂ©rentes espèces de Phyllies.
Les auteurs se nomment A. Deschandol, F. Langlois, P. Matyot, M. Vergne et j’en oublie. Toutes ces publications reflètent l’attrait particulier de ces insectes dĂ » au fait qu’ils ont poussĂ© Ă un degrĂ© incroyable leur ressemblance tant par la forme que par la couleur avec une feuille. Les phyllies partagent avec les papillons de jour et les coccinelles le privilège d’ĂŞtre aimĂ©es de tous, en particulier des enfants qui leur prodiguent parfois de touchantes marques d’affection. Et puis, on ne peut rester insensible Ă la façon dont elles se trĂ©moussent en se livrant Ă une sorte de marche chaloupĂ©e des plus comique et gracieux effet. « Insectes feuilles  » dit-on en anglais, « feuilles qui marchent  » en allemand. On est tentĂ© de voir dans cette analogie avec le monde vĂ©gĂ©tal un moyen qu’aurait trouvĂ© l’insecte de se fondre dans le milieu environnant afin d’Ă©chapper aux prĂ©dateurs probablement que sont les oiseaux. Mais, il s’agit lĂ d’une interprĂ©tation quelque peu antropomorphique qui postule que les oiseaux aient la mĂŞme vision que nous, or rien n’est moins sĂ »r. A dĂ©faut d’armes de dissuasion, beaucoup d’animaux et en particulier les insectes cherchent leur salut dans l’immobilitĂ©. Que signifie alors la "danse" collective Ă laquelle se livrent parfois les phyllies au risque de signaler ainsi leur prĂ©sence Ă l’attention des prĂ©dateurs ?

Par ailleurs, si, grâce Ă la perfection de leur camouflage les phyllies parvenaient Ă leurrer tous leurs prĂ©dateurs, elles pulluleraient. Or, c’est loin d’ĂŞtre le cas, comme les autres phasmidĂ©s, les phyllies ne sont guère communes dans leur habitat, en l’occurrence la forĂŞt tropicale humide.

La plupart des publications relatives aux phyllies font Ă©tat des difficultĂ©s et des dĂ©boires que rencontrent les membres du G.E.P. ou du P.S.G. dans leurs tentatives de maintenir les espèces les plus courantes. Si l’on veut que les Phylliidae soient un jour aussi communs dans nos Ă©levages que le sont les Lonchodinae ou les Eurycanthinae. il faut d’une part diffuser toutes les informations recueillies par les Ă©leveurs chanceux et, d’autre part, distribuer des oeufs Ă tous ceux qui ont acquis de l’expĂ©rience avec des espèces "faciles" et qui dĂ©sirent s’essayer Ă un Ă©levage plus dĂ©licat. Plus nombreux seront les Ă©leveurs, plus grande sera la chance de voir ces espèces s’implanter solidement. C’est, je crois, le sens des conclusions que donne Ă ses articles A. Deschandol. Dans le "Monde Des Phasmes" n° 6 page 17 et n° 7 page 15 cet auteur Ă©numère, non sans humour, tout ce qu’il a tentĂ© ou omis de faire pour la prospĂ©ritĂ© des espèces, sans que la rĂ©ussite ait toujours rĂ©compensĂ© ses efforts.

NAISSANCE D’UNE PASSION ET CE QUI S’ENSUIVIT

En 1986, je ramenais non sans peine en Europe toute une mĂ©nagerie de grands insectes en provenance du Cameron-Highlands (Malaisie). Parmi ceux-ci deux grandes Phyllies (P. siccifolium ?). Je ne parvins plus Ă les nourrir quand fut Ă©puisĂ© le bouquet de feuilles de goyavier cueilli Ă leur attention. Ces deux insectes vĂ©curent nĂ©anmoins assez longtemps et pondirent quelques oeufs dont plusieurs ont Ă©clos. En dĂ©pit des problèmes de nourriture, deux des trois gĂ©nĂ©rations se succĂ©dèrent mais le taux d’Ă©closion et de survie de jeunes nymphes allait en diminuant et l’espèce finit par s’Ă©teindre. Mais j’avais contractĂ© le virus pour ces mignonnes bestioles !

Automne 1991, la chance devait me sourire : Comme chaque annĂ©e, depuis plus de 60 ans, se tient Ă Baie (Suisse alĂ©manique) une bourse d’entomologie. Venus d’Allemagne, plusieurs vendeurs - des Ă©leveurs - y proposaient du matĂ©riel vivant. La raretĂ© faisant leur prix, j’ai acquis contre pas mal d’argent trois femelles adultes : une Phyllium giganteum, une Ph. celebicum et une Ph. bioculatum ainsi que les oeufs de cette dernière espèce. Que leur advint-il ?

La Ph. giganteum pondit une vingtaine d’oeufs brun-noirs, identiques Ă ceux dĂ©crit dans l’article de B. Hausleithner traduit par M. Vergne (n° 6 page 16). Six mois plus tard quatre oeufs seulement avaient Ă©clos donnant naissance Ă des femelles (le mâle de Ph. giganteum n’a pas encore Ă©tĂ© dĂ©crit mais existerait). Au moment oĂą j’Ă©cris ces lignes (mi-aoĂ »t 92) ces quatre jeunes vivent toujours mais semblent bien fragiles. Elles ne grandissent que très lentement n’ayant subi que trois mues jusqu’Ă ce jour. La Ph. bioculatum se rĂ©vĂ©la ĂŞtre une excellente pondeuse. Lorsqu’elle pĂ©rit, dĂ©but mai, j’avais rĂ©coltĂ© près de 250 oeufs. Des oeufs beiges très typiques, caractĂ©risĂ©s par cinq arĂŞtes bien marquĂ©es. Ces oeufs ont Ă©tĂ© recueillis en vrac, sans tenir compte de la chronologie de la ponte. Après six mois d’incubation, ces oeufs se sont mis Ă Ă©clore Ă la cadence de 4 Ă 5 par jour, soit au rythme auquel ils avaient Ă©tĂ© pondus six mois auparavant. Comme les heureuses naissances se sont poursuivies deux mois durant, on peut en conclure que le taux de natalitĂ© fut voisin de 100.

A sa naissance, la jeune Ph. bioculatum est une ravissante et vive petite crĂ©ature, de teinte rouge sombre, qui explore son univers sans se lasser, des heures durant. Avec le temps, elle se calme, sa teinte vire au brun puis elle acquiert sa couleur verte dĂ©finitive. La première partie de la vie des jeunes phyllies est très critique : près de la moitiĂ© d’entre elles meurent avant la première mue pour des raisons qui ne sont pas toujours Ă©videntes.

La femelle Ph. celebicum est facile Ă identifier par le fait qu’elle cache sous, ses Ă©lytres une paire d’ailes bien dĂ©veloppĂ©es, contrairement aux femelles des autres espèces. Elle pondit un certain nombre d’oeufs ayant l’aspect d’un petit "jerrican" dĂ©formĂ© comme le dit A. Deschandol (n° 12 page 12). L’incubation Ă©tant très courte - 3 mois - et la croissance des jeunes très rapide, cette femelle fit connaissance, si l’on peut dire, de sa progĂ©niture, Ă savoir trois femelles et un mâle. L’aspect de ce dernier est très caractĂ©ristique : pourvu d’ailes qui lui permettent de voler, son corps est allongĂ©, beaucoup plus Ă©troit que celui des femelle. Il est dotĂ© de longues antennes (voir article prĂ©citĂ© page 10).

Dans une enceinte oĂą règne une tempĂ©rature de 26°C et une humiditĂ© relative de 80%, bien nourri de feuilles de ronce souvent renouvelĂ©es, ce petit monde semblait se porter Ă merveille. Que croyez-vous qu’il advint ?

Notre mâle prĂ©citĂ© se rĂ©vĂ©la ĂŞtre un très actif « Don Juan  ». Ses trois soeurs n’ayant pas encore subi leur mue imaginale, soit la dernière, par laquelle elles acquièrent leurs ailes et deviennent adultes, il ne parvint pas Ă s’accoupler avec elles. Il tenta alors sa chance auprès de la quatrième femelle qui n’Ă©tait autre que sa mère. L’inceste fut consommĂ© mais pour elle, ce fut fatal. Elle pondit encore quelques oeufs mais un jour plus tard, je la trouvais morte, couchĂ©e sur le dos, les six pattes en l’air. L’Ă©motion avait peut-ĂŞtre mis fin Ă sa vie dĂ©jĂ longue ! Les jours passant, « Don Juan  » s’intĂ©ressa alors aux deux aĂ®nĂ©es de ses soeurs devenues adultes entre temps. Elles acceptèrent ses hommages et pondent depuis des ribambelles d’oeufs. L’avenir de l’espèce est assurĂ© ! Et qu’advint-il de la cadette ? Elle rata sa dernière mue, s’empĂŞtra dans son exuvie, perdit une patte antĂ©rieure. Son air minable ne dĂ©couragea pas « Don Juan  ». La pauvrette ne rĂ©sista pas Ă ses assauts et pĂ©rit le lendemain.

Egalement prĂ©sentes dans l’enceinte, les quatre jeunes Ph. giganteum, pourtant mignonnes ne semblaient nullement intĂ©resser notre « Don Juan  » par contre son attention semblait se porter sur une ravissante P. bioculatum devenue rĂ©cemment adulte. A ce stade du rĂ©cit, je vais ĂŞtre accusĂ© d’ĂŞtre victime de mon imagination ; voici cependant les faits : A chaque tentative d’approche, « Don Juan  » en Ă©tait empĂŞchĂ© par ses deux sĹ“urs qui faisaient positivement barrage de leur corps. La jalousie existerait-elle chez les insectes ? « Don Juan  » parvint cependant Ă dĂ©jouer leurs manoeuvres et Ă s’approcher de Ph. bioculatum. Il lui fallu un moment pour rĂ©aliser qu’il n’avait rien Ă espĂ©rer d’elle, tout comme moi qui avait escomptĂ© un bien improbable hybride. Chez les insectes, la spĂ©cificitĂ© des espèces est une règle qui ne connaĂ®t que peu d’exception. On sait que chez les phyllies, la vie du mâle est plus brève que celle des femelles. Peut-ĂŞtre Ă©puisĂ© par ses exploits. « Don Juan  » expirait quelques jours plus tard. Collègues Ă©leveurs : II vous suffit d’hĂ©berger dans un mĂŞme vivarium trois espèces de phyllies voisines dont les reprĂ©sentants sont en cours de croissance pour vivre en direct les Ă©pisodes d’un feuilleton plein de rebondissements. Et puis, la rĂ©colte et le tri des oeufs est une bien amusante activitĂ©.

Soit dit en passant, aucun des Ĺ“ufs achetĂ©s, Ă la bourse de Baie n’a Ă©clos Ă ce jour en dĂ©pit des conditions favorables de stockage ; ils sont probablement "stĂ©riles".

SOYONS SERIEUX

Après ces digressions tant soit peu romantiques, les lignes qui suivent seront consacrĂ©es Ă quelques observations personnelles relatĂ©es pĂŞle-mĂŞle, qui devraient complĂ©ter ou confirmer ce que d’autres auteurs ont Ă©crit Ă propos des phyllies. Des dĂ©boires seront peut-ĂŞtre ainsi Ă©pargnĂ©s aux nouveaux Ă©leveurs.

  • LES OEUFS

HumiditĂ© et tempĂ©rature On a beaucoup Ă©crit sur les conditions de stockage des oeufs qui favoriseraient les Ă©closions. Les nombreuses naissances qui se sont produites Ă un rythme rĂ©gulier durant plusieurs semaines m’ont permis de faire d’utiles et parfois d’Ă©tranges observations.

L’humiditĂ© et la tempĂ©rature sont deux facteurs qu’il faut contrĂ´ler avec soin pour tenter de recrĂ©er un micro-climat analogue Ă celui dans lequel vivent les phyllies. On doit garder Ă l’esprit que ces espèces ainsi que leurs oeufs prĂ©sentent, Ă l’encontre des autres phasmidĂ©s, une très grande surface d’Ă©change avec le milieu ambiant. Le risque de dessèchement est donc beaucoup plus Ă©levĂ©. Une tempĂ©rature de 26 Ă 28°C et une humiditĂ© relative de 80 Ă 90% sont favorables Ă l’incubation mais ces conditions deviennent impĂ©ratives au moment prĂ©sumĂ© de l’Ă©closion. La preuve m’en a Ă©tĂ© donnĂ©e Ă maintes reprises. Dans les conditions prĂ©citĂ©es les naissances de Ph. bioculatum avaient lieu au rythme de 4 Ă 5 par jour. A titre expĂ©rimental, il a suffit de ramener la tempĂ©rature Ă 22°C et l’hygromĂ©trie Ă 70 pour que plus aucune naissance ne se produise. Elles ont immĂ©diatement repris lorsque les conditions favorables ont Ă©tĂ© rĂ©tablies. On dit parfois qu’il faut conserver les oeufs sur du sable ou de la tourbe humide. C’est courir le risque de les voir se couvrir de moisissures. Le mieux est de les disposer dans une boĂ®te de PĂ©tri, non couverte, en une couche, pour faciliter les Ă©closions.

On observe parfois sur les oeufs la prĂ©sence de très petits animaux presque incolores. Ce sont des Collemboles qui comptent parmi les insectes les plus primitifs. Etant vĂ©gĂ©tariens et dĂ©tritivores, ils sont d’utiles auxiliaires pour empĂŞcher le dĂ©veloppement Ă©ventuel des moisissures. Un mystĂ©rieux signal

On sait qu’une poule qui couve s’arrange pour que ses poussins naissent presque simultanĂ©ment alors mĂŞme que les oeufs ont Ă©tĂ© pondus Ă plusieurs jours d’intervalle. Un mystĂ©rieux signal semble dĂ©clencher les Ă©closions. Quelque chose d’analogue s’observe avec les oeufs de Ph. bioculatum. Toutes les Ă©closions, sans exception, se sont produites entre 9 heures et 11 heures du matin : jamais avant, jamais plus tard. La première idĂ©e qui vient Ă l’esprit est que la lumière du jour est le facteur dĂ©terminant. Eh bien non ; dans la plus complète obscuritĂ© les oeufs Ă©closent Ă l’heure fatidique si les conditions de tempĂ©rature et d’humiditĂ© sont respectĂ©es !

  • L’ECLOSION

Puisque les phyllies naissent presque Ă heure fixe, il devrait ĂŞtre courant d’assister Ă une Ă©closion.

Erreur : une inattention de quelques secondes et dĂ©jĂ un nouveau-nĂ© arpente le vivarium en tous sens. On en conclu que l’Ă©vĂ©nement a dĂ » ĂŞtre très rapide. Pour l’observer - et cela en vaut la peine - il m’a fallu placer la boĂ®te de PĂ©tri sous l’objectif de mon microscope binoculaire et ... attendre. En parcourant du regard le contenu de la boĂ®te on voit soudainement un capitulum se soulever. Une zone rouge se forme Ă la ligne de jonction avec l’oeuf, puis plus rien ne se passe durant plusieurs minutes. Brusquement, le capitulum est rejetĂ©, le thorax apparaĂ®t, puis la tĂŞte, puis une Ă une, les trois paires de pattes au moyen desquelles l’insecte tente de s’extraire de l’oeuf. Tout le processus n’a pas durĂ© plus d’une vingtaine de secondes. Cette Ă©mergence de la vie vous laisse admiratif et pantois. Un amateur de photomacrographie saura-t-il fixer l’Ă©vĂ©nement ? Ce serait un exploit !

  • PLANTE NOURRICIERE

Avec quoi faut-il nourrir les jeunes phyllies ? La question du choix de la plante nourricière prĂ©occupe toujours les Ă©leveurs. Plusieurs RosacĂ©es ont Ă©tĂ© proposĂ©es, en particulier l’aubĂ©pine dont les jeunes phyllies semblent très friandes. Toutefois, expĂ©rience faite, il semble avantageux de proposer de la ronce aux jeunes phyllies dès leur naissance. Les trois espèces prĂ©citĂ©es l’acceptent. Ce faisant on est assurĂ© de pouvoir donner de la nourriture fraĂ®che durant la pĂ©riode hivernale.

Une remarque : Les tendres feuilles vert-clair qui garnissent l’extrĂ©mitĂ© des tiges et qui nous paraissent bien appĂ©tissantes sont toujours boudĂ©es par les phyllies, jeunes ou adultes. Elles contiendraient une substance plus ou moins toxique.

Il est bon d’insister sur le fait qu’il faut toujours laver (doucher) les feuilles de ronce. Selon les lieux oĂą elles ont Ă©tĂ© rĂ©coltĂ©es, au bord d’une route ou en lisière d’un champ cultivĂ©, elles peuvent ĂŞtre contaminĂ©es par du plomb ou par des pesticides. VĂ©rifier aussi que les feuilles n’abritent ni fourmis ni araignĂ©es.

  • LA MUE

Comme les autres phasmes, les phyllies grandissent Ă la faveur de plusieurs mues. Cinq ou six en gĂ©nĂ©ral. Quiconque a eu la bonne fortune d’observer les diffĂ©rentes phases de la mue d’une phyllie se souviendra longtemps de l’extraordinaire spectacle auquel il a assistĂ©. La sĂ©quence se dĂ©roule ainsi :

    • Lorsque le moment de muer approche, l’insecte cesse de s’alimenter et cherche un support Ă©levĂ© par rapport au sol, auquel il puisse se suspendre par les pattes antĂ©rieures.
    • La cuticule de son thorax se fend longitudinalement.
    • Passant Ă travers la fente en procĂ©dant Ă reculons, l’insecte s’extrait totalement de son ancienne enveloppe Ă la façon d’une main qui sort d’un gant.
    • EpuisĂ© par cette dĂ©licate manoeuvre, l’insecte demeure un temps suspendu par les pattes antĂ©rieures Ă l’enveloppe vide appelĂ©e exuvie.
    • Dans cette situation l’insecte va grandir d’une façon extrĂŞmement rapide. La croissance est visible Ă l’oeil nu. Il va atteindre sa nouvelle taille en une vingtaine de minutes !
    • Sa nouvelle cuticule s’Ă©tant solidifiĂ©e au contact de l’air et ayant repris des forces, l’insecte cherche Ă regagner son support en grimpant le long de l’exuvie.
    • Chemin faisant, il lui arrive de dĂ©vorer totalement ou partiellement son exuvie.

Leur anatomie foliacĂ©e complique singulièrement la mue des phyllies. Elles y laissent souvent une ou plusieurs pattes ou un fragment d’antenne (les mâles). Il arrive frĂ©quemment qu’une phyllie demeure prisonnière de l’exuvie, le corps dĂ©formĂ© ou les pattes empĂŞtrĂ©es. L’exuvie et la nouvelle cuticule s’Ă©tant durcies Ă l’air, la malchanceuse bestiole demeurera infirme Ă vie. Si l’on intervient Ă temps et très dĂ©licatement, il est parfois possible de libĂ©rer l’animal de ses entraves. Sans intervention, une phyllie qui tombe sur le sol durant la mue est perdue. Il en va de mĂŞme si le support qu’elle a choisi n’est pas assez Ă©loignĂ© du sol. C’est la raison pour laquelle il faut toujours prĂ©voir des bacs d’Ă©levage d’une hauteur suffisante (un petit aquarium dĂ©saffectĂ© ne convient pas).

  • SE NOYER DANS UNE GOUTTE D’EAU

Faut-il ou ne faut-il pas pulvĂ©riser de l’eau dans les bacs d’Ă©levage ? Questions que bien des Ă©leveurs se sont posĂ©es. La pulvĂ©risation est efficace pour assurer une hygromĂ©trie convenable. Par ailleurs, on voit souvent des phasmes venir s’abreuver Ă mĂŞme les gouttes.

Dans le cas de jeunes phyllies, surtout si elles viennent d’Ă©clore, je dĂ©conseillerais vivement cette pratique. Les lois de la capillaritĂ© font qu’une jeune phyllie qui entre en contact avec une surface mouillĂ©e est littĂ©ralement collĂ©e Ă la paroi du bac en raison de la grande surface de son corps. Elle ne peut plus se dĂ©placer et meurt, proprement noyĂ©e dans une goutte d’eau.

Dès lors, comment obtenir une hygromĂ©trie de 80 Ă 90% ? La mĂ©thode la plus indiquĂ©e me semble la suivante :

      • remplir le fond du bac d’une couche de sable gorgĂ©e d’eau et la recouvrir d’une feuille de buvard surmontĂ©e d’une feuille de "papier de mĂ©nage".
      • tapisser une des parois du bac avec une feuille de buvard qui plonge dans le sable mouillĂ©, elle agira comme une mèche et augmentera encore l’humiditĂ© en s’Ă©vaporant.

Remarques : Les jeunes phyllies se promènent volontiers sur ces surfaces humides sans risquer la noyade. Pour "faire le mĂ©nage" et rĂ©colter les oeufs rien de plus facile : on change le papier.

      • RĂ©duire Ă très peu de chose les Ă©changes gazeux avec l’extĂ©rieur. La photosynthèse des plantes diurne fournit assez d’oxygène.
      • La vie d’une phyllie, jeune ou adulte, peut se dĂ©rouler Ă la tempĂ©rature ambiante (20 Ă 25°C). Les Ă©closions, par contre, ne semblent assurĂ©es qu’Ă une tempĂ©rature comprise entre 26 et 28°C, voire 30°C. Cette tempĂ©rature ne peut ĂŞtre maintenue en toutes saisons qu’au moyen d’un corps de chauffe Ă©lectrique. Les Ă©leveurs ingĂ©nieux et tant soit peu bricoleurs sauront installer un chauffage par rĂ©sistance en basse tension. La puissance Ă installer est fonction du volume du bac d’Ă©levage. On peut l’estimer Ă environ 1 W par litre. Bien commodes sont aussi les systèmes munis de thermostat qu’utilisent les aquariophiles. Quoi qu’il en soit, le chauffage doit ĂŞtre disposĂ© de telle façon que les jeunes nymphes ne puissent en aucun cas s’approcher de la source de chaleur car elles se laisseraient "rĂ´tir" sur place plutĂ´t que de s’en Ă©loigner.

Autres remarques : Durant les premières semaines de sa vie, la jeune phyllie prĂ©fère s’Ă©battre dans un espace restreint oĂą elle aura moins de difficultĂ© Ă trouver sa nourriture. Une "nurserie" de un Ă deux litres peut abriter une vingtaine d’individus, qui semblent trouver du plaisir Ă cette promiscuitĂ©. En revanche, il peut ĂŞtre prudent de rĂ©partir les insectes dans plusieurs enceintes pour rĂ©duire les risques de perdre tout l’Ă©levage en cas d’Ă©pidĂ©mie.

  • CONCLUSION

De ce qui prĂ©cède, on retiendra que l’Ă©levage ab ovo des phyllies nĂ©cessite certainement plus d’attention que celui des autres phasmidĂ©s. Et encore, ne fut-il pas question des problèmes liĂ©s Ă la diminution de la fĂ©conditĂ© au fil des gĂ©nĂ©rations, ni des maladies qui peuvent survenir sans raison apparente, ni des parasites. Pas plus que de la perte d’une ou deux pattes par suite d’une manipulation trop brusque et qui empĂŞche l’insecte de se nourrir correctement.

L’Ă©levage des phyllies est certes plein d’alĂ©as et il y aurait de quoi se dĂ©courager comme le dĂ©plore notre ami A. Deschandol. Il faut cependant persĂ©vĂ©rer car tĂ´t ou tard on finit par se lasser de l’Ă©levage d’espèces trop faciles dont les reprĂ©sentants vous envahissent.

Pour finir : Quelques conseils pour dĂ©marrer un Ă©levage :

      • Ne pas se laisser tenter par l’achat d’un petit nombre d’oeufs. Ils sont chers et souvent stĂ©riles, ayant Ă©tĂ© stockĂ©s dans de mauvaises conditions.
      • Acheter Ă©ventuellement des nymphes tout en sachant qu’une part d’entre elles ne parviendra pas au stade adulte et que les mâles et les femelles n’atteindront sans doute pas la maturitĂ© sexuelle au moment propice Ă assurer l’avenir de l’espèce.
      • Se procurer, mĂŞme au prix fort, une femelle qui Ă commencĂ© Ă pondre. Recueillir quelques centaines d’oeufs et les stocker dans de bonnes conditions. Les premières Ă©closions interviennent six mois plus tard (trois mois pour Ph. celebicum). Cette espèce est, de loin, la plus tolĂ©rante.

On peut ĂŞtre choquĂ© par les prĂ©tentions financières des marchands mais il faut bien considĂ©rer que ceux-ci vivent de leur nĂ©goce, qu’ils louent, parfois cher des places de vente dans les bourses, qu’ils s’approvisionnent auprès de "dealers" orientaux ou sud-amĂ©ricains, quelquefois malhonnĂŞtes mais toujours assez gourmands. Enfin que ce sont des Ă©leveurs qui, comme nous, connaissent l’Ă©chec.

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Le Monde des Phasmes n°21, pp. 4-5 (mars 1993)


Depuis l’envoi de l’article paru sous ce titre dans le n° 19 du "Monde Des Phasmes", il m’a Ă©tĂ© donnĂ© de faire quelques observations que j’ai plaisir Ă communiquer Ă ceux pour qui ces insectes prĂ©sentent un attrait particulier.

LES PHYLLIES SONT ELLES GREGAIRES ?

L’adjectif peut Ă coup sĂ »r qualifier le comportement des Eurycanthinae et plus particulièrement celui d’Eurycantha calcarata Ă certains stades de sa vie. Tous les Ă©leveurs auront remarquĂ© la tendance qu’ont ces insectes, en dehors des pĂ©riodes d’activitĂ©, Ă se regrouper dans un angle du vivarium sous la forme d’un faisceau pouvant compter une dizaine d’individus. Que signifie ce comportement ?
On peut admettre que sous cette forme l’insecte est moins reconnaissable par un prĂ©dateur que lorsqu’il est isolĂ©. On ne manquera pas de s’interroger sur la nature du signal qui incite au regroupement en un lieu Ă un moment prĂ©cis. S’agit-il d’un message odorant, comme chez les insectes sociaux ? Le regroupement n’a t-il lieu qu’en captivitĂ© ou existe-t-il dans la nature ?

  • LA DANSE

Les phyllies ont-elles un comportement identique ? Non, en ce qui concerne la tendance au regroupement. On peut estimer qu’il serait inutile dans la mesure oĂą chaque individu assure son propre camouflage par son aspect foliacĂ©. Par contre, dans un vivarium, les phyllies ont un comportement collectif Ă©vident. Le plus curieux est celui de la danse. Il arrive qu’Ă un instant prĂ©cis tous les individus se trĂ©moussent et oscillent simultanĂ©ment au mĂŞme rythme. Le spectacle qui dure plusieurs dizaines de secondes est irrĂ©sistible. Il prend fin aussi brusquement qu’il a dĂ©butĂ©. Le phĂ©nomène est fortuit et je ne suis jamais parvenu Ă le provoquer dĂ©libĂ©rĂ©ment. Il semble toutefois qu’il rĂ©vèle une certaine inquiĂ©tude, mais il est douteux qu’il se produise spontanĂ©ment dans la nature.
Quelle est la nature du signal ? Est-il sonore ou olfactif ? Peut-ĂŞtre est-il purement mĂ©canique, transmis par les lĂ©gers mouvements des rameaux de la plante nourricière.

  • ECLAIRAGE

Les observations relatives au rĂ´le de l’Ă©clairage ne sont pas toujours concordantes. Pour ma part, je considère que les phyllies s’accommodent bien d’un Ă©clairage comportant journellement 12 heures de lumière et 12 heures d’obscuritĂ©, Ă l’instar des conditions d’illumination propres aux tropiques. Pour l’insecte, la lumière lui facilite indiscutablement la quĂŞte de la nourriture et la recherche d’une position favorable pour attaquer avec ses mandibules le bord du limbe de la feuille. A l’instant oĂą la lumière jaillit dans un vivarium, il n’est pas rare de voir toutes les phyllies d’un Ă©levage se prĂ©cipiter vers la feuille la plus proche et la grignoter toute ou partiellement. Oui, la lumière est nĂ©cessaire : avez-vous dĂ©jĂ essayĂ© de dĂ©guster un potage dans une totale obscuritĂ© ?

  • QUETE DE LA NOURRITURE

Dans le mĂŞme ordre d’idĂ©e, il faut faciliter aux phyllies l’accès aux feuilles nourricières. Leur anatomie extĂ©rieure si particulière est dĂ©jĂ un sĂ©rieux handicap pour se nourrir dans une vĂ©gĂ©tation dense. Par ailleurs, la phyllie manifeste une tendance Ă grimper le long des rameaux pour aller manger les feuilles les plus hautes dans le vivarium. Une fois qu’elle a rĂ©duit la feuille Ă ses nervures, la phyllie ayant sans doute une mauvaise vue et peu d’idĂ©es, ne sait pas redescendre vers les feuilles infĂ©rieures ; elle dĂ©pĂ©rirait sans l’intervention complaisante de l’Ă©leveur.

  • GREGARISME NEONATAL

GrĂ©gaires, les jeunes fraĂ®chement Ă©clos, le sont d’une certaine façon. Ils sont loin de souffrir de la promiscuitĂ© ; bien au contraire. C’est faute d’avoir reconnu cette tendance que les Ă©leveurs voient mourir la plupart de leurs jeunes avant qu’ils n’aient subi la première mue. En fait, les jeunes phyllies survivent trois Ă cinq jours sans absorber de nourriture puis elles commencent Ă perdre leurs pattes, tombent sur le dos et meurent. Dès lors, que faire ? A leur naissance, il faut installer les vives petites crĂ©atures rouges que sont les jeunes phyllies dans un rĂ©cipient de faible volume faisant office de nursery. Cette enceinte sera agencĂ©e de telle sorte qu’elle puisse recevoir de la nourriture fraĂ®che (un rameau de ronces garni de petites feuilles), qu’elle soit ventilĂ©e et qu’elle puisse ĂŞtre placĂ©e dans un vivarium bien Ă©clairĂ© oĂą tempĂ©rature et hygromĂ©trie seront contrĂ´lĂ©es (T° = 28-30°C et H.R. 80 % ). Mais surtout - et cette condition est impĂ©rative - il faut que la nurserie abrite dĂ©jĂ quelques phyllies ou mĂŞme d’autres phasmes plus âgĂ©s qui savent se nourrir. On ne saurait dire que ces derniers servent d’exemple ; mais plus vraisemblablement en grignotant le bord des feuilles, ils les attendrissent suffisamment pour que les toutes jeunes phyllies puissent s’en nourrir Ă leur tour. Depuis que j’observe ces conditions, presque tous les jeunes parviennent Ă leur première mue et ont ainsi de bonnes chances d’atteindre le stade adulte.

Ces observations corroborent celles relatĂ©es par P. Matyot [1] et par John P. Killingreck [2].

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Le Monde des Phasmes n°22, pp. 15-16 (juin 1993)


A observer de près les phyllies, l’intĂ©rĂŞt qu’elles prĂ©sentent ne fait que grandir. La morphologie si particulière de ces insectes n’a d’Ă©gal que l’Ă©trangetĂ© de leur comportement.
On imagine sans peine les merveilleux morceaux d’anthologie que nous aurait donnĂ© un Jean-Henri Fabre, s’il avait eu des phyllies en Ă©levage. A dĂ©faut d’un tel tĂ©moignage, le lecteur voudra bien se contenter des notes Ă©parses qui suivent. Ces notes ont Ă©tĂ© glanĂ©es au fil des jours durant les six derniers mois de l’annĂ©e 1992.
En avant-propos, il convient de mentionner un fait dont l’importance m’a longtemps Ă©chappĂ© : l’exiguĂŻtĂ© de l’enceinte qui abrite mon Ă©levage. Il s’agit d’un vivarium dont la pius grande face est vitrĂ©e et mesure 0,5 m x 0,5 m, mais dont la profondeur est faible au point que son volume est infĂ©rieur Ă 40 litres. Cette disposition est Ă©videmment très favorable Ă l’observation visuelle mais elle doit induire des comportements aberrants chez les insectes qui s’y trouvaient en surnombre.

Contrairement aux jeunes phyllies qui apprĂ©cient la promiscuitĂ© (voir "Le Monde Des Phasmes n° 21, pages 4 et 5), les adultes ou subadultes ne la supportent guère. ConfinĂ©s dans un espace exigu, les insectes se trouvent confrontĂ©s Ă des conditions fort diffĂ©rentes de celles que leur offre la vie en libertĂ©. Pour n’en citer que trois :

    • La difficultĂ© Ă se nourrir sans se gĂŞner mutuellement au cours de la quĂŞte de la nourriture.
    • FrĂ©quente chez les insectes, la rivalitĂ© entre espèces ; en ce cas d’autant plus marquĂ©e qu’elle ne sont pas endĂ©miques.
    • L’exacerbation de l’instinct sexuel due Ă une concentration en phĂ©romones infiniment plus forte que dans la nature.
  • CANNIBALISME

Sont cannibales, les animaux qui dĂ©vorent des individus de leur propre espèce. Les mantes sont cannibales. Que cette pratique existe chez les phyllies ne m’Ă©tonnerait pas, bien que n’ayant jamais Ă©tĂ© tĂ©moin d’un tel repas. Sur quelles indications repose cette prĂ©somption ? Essentiellement sur d’inexplicables disparitions.

Qu’on veuille bien se rĂ©fĂ©rer Ă l’Ă©numĂ©ration des hĂ´tes prĂ©sents dans mon vivarium au cours de l’Ă©tĂ© 1992 (cf. "Le Monde Des Phasmes n° 19, page 16), Cette enceinte abritait notamment quatre jeunes Ph. giganteum dont la croissance semblait lente. J’escomptait cependant qu’une fois adultes, ces femelles assureraient l’avenir de l’espèce par une ponte importante. DĂ©ception ! Non seulement aucun oeuf ne fut pondu mais, pire, les quatre spĂ©cimens disparurent bel et bien sans laisser de traces. L’espèce est dĂ©sormais perdue en ce qui me concerne. Les mystĂ©rieuses disparitions seraient-elles Ă mettre en relation avec la prĂ©sence de six femelles de Ph. celebicum et de quelques mâles qui venaient d’arriver Ă maturitĂ© ?

Dans le cours des deux mois qui suivirent, une considĂ©rable quantitĂ© d’Ĺ“ufs fut pondue. DĂ©but octobre, comme en rĂ©ponse Ă un Ă©trange signal, toutes ces femelles cessèrent de pondre d’un jour Ă l’autre. Elles continuèrent Ă s’alimenter puis deux femelles et deux mâles pĂ©rirent cependant que les quatre autres femelles disparaissaient Ă leur tour. A ce stade, il faut prĂ©ciser que dans l’intervalle, six Ph. bioculatum Ă©taient devenues adultes. Mi-novembre, chacune d’entre elles se mit Ă pondre au rythme de 5 Ă 6 oeufs par semaine tout en se partageant les faveurs de deux mâles.

Faut-il Ă nouveau invoquer le cannibalisme pour expliquer la totale disparition des Ph. celebicum ? Se peut-il qu’une espèce devenue adulte ne tolère pas la prĂ©sence d’une autre et qu’elle s’en dĂ©barrasse en la dĂ©vorant ?

Au fil du temps, les indices s’accumulent mais les preuves demeurent minces. Une pièce Ă conviction cependant : une phyllie dont un des Ă©lytres est amputĂ© d’une large surface semi-circulaire.

L’analogie avec l’aspect d’une feuille en cours de consommation est frappante. Comme quoi l’homochromie et l’homotypie ne seraient pas toujours une protection efficace ; bien au contraire en l’occurrence.

Lorsqu’il s’agit de mastiquer, les mandibules des phyllies sont, comme chez bien d’autres insectes, d’une efficacitĂ© remarquable. Il n’est que d’observer la rapiditĂ© avec laquelle une phyllie, bien que vĂ©gĂ©tarienne d’ordinaire, dĂ©vore sa propre exuvie après une mue. Tout comme elle grignote en une dizaine de minutes une feuille de ronce de belle taille, y compris la nervure centrale pourtant dure et bardĂ©e d’Ă©pines.

A porter au dossier du cannibalisme, une information que vient de me fournir une biologiste de la rĂ©gion genevoise selon laquelle des Ph. celebicum qu’elle Ă©levait ont mystĂ©rieusement disparus. Dans ce cas les soupçons ne se portent pas sur d’autres espèces de phyllies mais sur un phasme Ă tiare : Extatosoma tiaratum.

Que conclure ? Collègues Ă©leveurs, ne suivez pas le conseil que je donnais naguère, celui d’Ă©lever plusieurs espèces de phyllies dans une mĂŞme enceinte. Le comportement des insectes sera nĂ©cessairement aberrant et les observations que vous feriez si amusantes soient-elles n’auront aucune valeur scientifique.

Donc, en règle gĂ©nĂ©rale, une seule espèce par cage et pas d’adultes en surnombre.

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Le Monde des Phasmes n°25 (Mars 1994)


Chaque fois que sont faites de nouvelles observations quant Ă l’Ă©levage et au comportement de ces insectes, il est bon qu’en soient informĂ©s ceux et celles - nombreux - qui se passionnent pour ces curieux animaux. Mentionnons que l’essentiel de ce qu’il faut savoir si l’on veut tenter un Ă©levage se trouve condensĂ© en un peu plus de deux pages dans une excellente et très rĂ©cente brochure en langue anglaise consacrĂ©e aux phasmes ayant pour auteur Paul D. Brock [3]. On y apprend que parmi les vingt espèces de phyllies connues depuis le milieu du siècle dernier, seules quatre d’entre elles se sont maintenues en Europe avec plus ou moins de bonheur.

A relire l’article paru dans le Monde Des Phasmes (n° 19 p. 16-21) on constatera que son ton Ă©tait quelque peu triomphaliste. Tout semblait indiquer que l’Ă©levage des phyllies ne prĂ©sentait aucune difficultĂ© particulière et que tĂ´t ou tard elles envahiraient nos vivariums.

Erreur totale ! Avec le temps, force est de constater que cet Ă©levage est alĂ©atoire, plein d’imprĂ©vus. Que les causes d’Ă©chec sont parfois Ă©videntes, parfois mystĂ©rieuses.

L’article que consacre aux phyllies E. Delfosse (mĂŞme numĂ©ro, p. 3) est plus rĂ©servĂ©. L’auteur, excellent observateur (et dessinateur) donne de judicieux conseils.

C’est Ă juste titre que P.D. Brock, dans la brochure prĂ©citĂ©e, attribue Ă cet Ă©levage la note de difficultĂ© 2 Ă 3 (3 Ă©tant le maximum).

  • TAUX DE NATALITE

Les observations qui suivent se rapportent plus particulièrement Ă Phyllium bioculatum (Gray, 1832), espèce originaire de Java et du Sri Lanka. Les trois autres espèces que j’ai tentĂ© d’Ă©lever, Phyllium siccifolium, Phyllium giganteum et Phyllium celebicum se sont peu Ă peu Ă©teintes, quand bien mĂŞme, la dernière citĂ©e, originaire de ThaĂŻlande semblait promue Ă un brillant avenir.

Voici ce qu’il advint ; II y a quelques mois, un important stock d’oeufs donna naissance Ă d’assez nombreux jeunes de couleur brune, au corps oblong, marquĂ© ainsi que les fĂ©murs par des taches blanc- nacrĂ©. Alors que les adultes apprĂ©cient la ronce et le chĂŞne, elles n’en voulurent point et pĂ©rirent toutes avant la première mue. Peut-ĂŞtre aurait-il fallu leur offrir des feuilles de goyavier, plante dont la culture est facile si l’on dispose d’un local adĂ©quat ... et de patience. Cette totale disparition de l’espèce est surprenante puisqu’un prĂ©cĂ©dent Ă©levage avait fort bien rĂ©ussi.

Exit Phyllium celebicum, reste donc Phyllium bioculatum mais dont l’Ă©levage se rĂ©vèle plus dĂ©licat qu’il n’y paraĂ®t. Après environ six mois d’incubation dans des conditions optimales (tempĂ©rature de 26-28°C, HumiditĂ© relative de 80-90% ), des Ă©closions se produisirent au sein d’un stock d’oeufs - un millier - sensĂ©s avoir Ă©tĂ© fĂ©condĂ©s. Puis, peu Ă peu, ce rythme se ralentit au point qu’un jour ou deux s’Ă©coulèrent sans qu’il y ait d’Ă©closion. Au bout de quelques mois, les oeufs, maintenant âgĂ©s d’un an, ont cessĂ© d’Ă©clore. Que contiennent-ils ? Dans la quasi-totalitĂ© d’entre eux c’est une gelĂ©e jaune, transparente, entourĂ©e d’une membrane. Peu d’entre eux montrent un dĂ©but de dĂ©veloppement embryonnaire. Très rarement le contenu est totalement sec.

Sans avoir tenu un dĂ©compte prĂ©cis, on peut estimer que le taux de natalitĂ© n’excède guère 20%. Voila la raison pour laquelle bien des acheteurs sont déçus d’avoir fait l’acquisition d’une ou deux douzaines d’oeufs de phyllies et de n’avoir que de rares Ă©closions, voire aucune.

  • ECLOSION, PREMIERS PAS ET PREMIERE MUE.

Le phĂ©nomène d’Ă©closions massives et synchronisĂ©es en fin de matinĂ©e des oeufs de Phyllium bioculatum avait Ă©tĂ© mentionnĂ© dans l’article paru dans le Monde Des Phasmes (n° 19, P. 19). Cet article aura sans doute Ă©chappĂ© Ă l’attention de M. J.-Y. Robert puisqu’il ne le cite pas en rĂ©fĂ©rence Ă la fin de son intĂ©ressante communication (n° 23, p. 11-15). Il est vrai que ses observations portent sur Extatosoma tiaratum. Pas plus que moi, il n’est parvenu Ă des conclusions dĂ©finitives quant aux causes de ce curieux phĂ©nomène. Je suis assez enclin Ă croire que ce comportement est bĂ©nĂ©fique Ă l’espèce par le fait qu’il faciliterait au nouveau-nĂ© la dĂ©couverte de son milieu Ă un moment favorable de la journĂ©e. Il ne s’agit nullement d’une recherche de nourriture. La phyllie nĂ©onate peut en effet vivre plusieurs jours avant un premier repas si le climat lui est propice (tempĂ©rature, humiditĂ©).

Quant Ă la dissĂ©mination des individus, elle a dĂ©jĂ lieu au moment de la ponte car au moment oĂą l’oeuf apparaĂ®t la femelle le projette au loin par un brusque mouvement de l’abdomen du plus comique effet.

On peut s’interroger Ă propos de la couleur cuivrĂ©e ou franchement rouge de l’insecte qui vient de naĂ®tre, couleur qui vire au brun puis au vert bien avant la première mue. Dans le monde animal et vĂ©gĂ©tal la couleur rouge est souvent un avertissement qui signifie ; "attention, ne pas consommer je suis toxique !". Grâce Ă cette astuce 1 insecte serait protĂ©gĂ© durant le laps de temps oĂą son incessant vagabondage risque de le faire remarquer. Par la suite, son salut lui viendra de son remarquable camouflage et de son immobilitĂ© diurne.
Voir l’article "Le mimĂ©tisme chez les Phyllium".

PassĂ©s deux ou trois jours de grande activitĂ©, la jeune crĂ©ature se calme’ et entreprend une vie qui sera pleine d’imprĂ©vus et d’incidents. On a dĂ©jĂ dit comment une simple goutte d’eau pouvait ĂŞtre pour elle un piège mortel. Puis vient la quĂŞte de la nourriture. Il semble bien que les jeunes ne savent pas toujours trouver ni atteindre la feuille qui leur conviendrait ni comment l’attaquer. Plusieurs auteurs pensent que la prĂ©sence dĂ©jeunes plus âgĂ©es ou mĂŞme ceux d’une autre espèce facilite les choses.

Au bout de deux ou trois semaines, si le jeune a survĂ©cu, il va lui falloir subir 1 Ă©preuve de la première mue. La mue est toujours prĂ©cĂ©dĂ©e de quelques jours de jeĂ »ne, l’insecte ne bouge plus et l’on craint pour sa survie ; il ne faut surtout pas le dĂ©ranger. Le spectacle fascinant de la mue a Ă©tĂ© maintes fois dĂ©crit. Le danger qu’elle prĂ©sente rĂ©side dans le fait que si l’exuvie Ă laquelle s’accroche l’insecte durant tout le processus se dĂ©tache prĂ©maturĂ©ment de son support et que l’animal dont la cuticule est encore molle et fragile tombe sur le sol il ne peut s’en sortir. Il demeurera empĂŞtrĂ© dans son enveloppe et en mourra Ă moins que l’on parvienne Ă l’en extraire Ă temps par une dĂ©licate intervention.

Moins dramatique mais frĂ©quent l’insecte perd des pattes dans l’aventure. S’il lui en reste au moins quatre, il pourra encore rechercher de la nourriture, sinon ...

A chaque mue, l’animal court des risques qui peuvent lui ĂŞtre fatal. Parfois tout semble s’ĂŞtre bien dĂ©roulĂ© mais par la suite, il renonce Ă se nourrir. A l’autopsie on constate qu’il est vide, comme si l’appareil masticateur ou digestif ne s’Ă©tait pas convenablement rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©.

Il est arrivĂ© qu’une femelle atteigne au stade subadulte une taille inhabituelle par sa grandeur ; Ă croire qu’il s’agit d’une espèce diffĂ©rente. Sa teinte verte a virĂ© au jaune pâle, les nervures de ses Ă©lytres, l’extrĂ©mitĂ© de son abdomen et les fĂ©murs de ses pattes se sont marquĂ©s de grandes taches brunes, mimant Ă la perfection une vieille feuille sur le point de tomber. Cette femelle est morte sans s’ĂŞtre accouplĂ©e ni avoir pondu. Un excès d’hormones de croissance sans doute.

Quel est le taux de survie des phyllies après la dernière mue ? Il doit, lui aussi se situer aux environs de 20% par rapport aux naissances. C’est lĂ , me semble-t-il, le principal Ă©cueil que rencontre l’Ă©leveur, sans qu’il ne puisse rien y changer.

  • MUE ET CROISSANCE

La mue imaginale d’une phyllie, celle qui lui confère son Ă©tat adulte, est un spectacle rare fugace auquel on a parfois la chance d’assister car elle intervient souvent de jour, en fin de matinĂ©e, tout comme les Ă©closions. La description qui en a Ă©tĂ© donnĂ©e (Le Monde Des Phasmes n° 19 p. 20) demande de ma part quelques corrections et adjonctions. En fait, l’insecte s’accroche au support par ses pattes postĂ©rieures puis, l’exuvie s’Ă©tant fendue au niveau du thorax, il dĂ©gage en premier lieu sa tĂŞte, ses antennes et ses pattes antĂ©rieures, dans un mouvement de bascule vers l’arrière. Il demeure quelques instants suspendu, la tĂŞte en bas, puis, ayant repris des forces, il opère un brusque rĂ©tablissement. C’est alors qu’il entreprend de grimper le long de l’exuvie en direction du support en s’aidant des pattes mĂ©dianes et antĂ©rieures. Il arrive parfois, qu’au passage, il dĂ©vore son exuvie, partiellement ou totalement. Puis, dans un temps très court, de l’ordre de la demi-heure, il acquiert sa taille dĂ©finitive.

A ce moment intervient un phĂ©nomène plus Ă©trange encore qui ne semble pas avoir Ă©tĂ© dĂ©crit en dĂ©tail : il s’agit de l’acquisition des ailes. On sait que jusqu’Ă sa quatrième mue, un mâle de Ph. bioculatum est totalement aptère. C’est Ă l’issue de sa mue imaginale, la cinquième, qu’il se pourvoira d’une paire d’ailes qui ne fera de lui, certes pas, un brillant voilier mais qui lui permettra d’amortir une chute ou de se rendre par la voie des airs auprès d’une femelle qu’il convoite.

Comment cela se passe-t-il ? On voit tout d’abord apparaĂ®tre deux minuscules points vert-vif Ă la base du mĂ©tathorax. En quelques minutes, chacun des deux points se transforme en un disque de la taille d’une graine de lentille. L’objet grandit Ă vue d’oeil, prend une forme oblongue, devient translucide et montre dĂ©jĂ un rĂ©seau de nervures. La croissance se poursuit au mĂŞme rythme et en moins de trente minutes l’insecte se trouve muni d’une vraie paire d’ailes dont il peut faire un usage immĂ©diat.

Chez la femelle, les choses se passent différemment. Ce sont les élytres rudimentaires (tegmina) qui subissent une croissance ultra rapide après la sixième mue. Ces "ailes" recouvrent presque en totalité l’abdomen mais ne sont apparemment d’aucune utilité àl’insecte. A noter que chez les femelles adultes de Ph. celebicum, les élytres cachent une paire d’ailes, inutiles aussi, car l’insecte est trop lourd pour pouvoir voler.

La croissance ultra rapide d’un organe pose des questions, pour y rĂ©pondre on est tentĂ© de faire le rapprochement avec la croissance des jeunes sitĂ´t après l’éclosion, croissance que l’on observe Ă©galement Ă vue d’oeil. Dans une publication du P.S.G. (Newsletfer n° 56, sept. 1993), un correspondant, M. B. Kneubuhler estime que, profitant de la souplesse temporaire de son exosquelette, le jeune pompe de l’air dans son corps. L’auteur fait une plaisante analogie avec un ballon enrobĂ© de papier imprĂ©gnĂ© de colle liquide que l’on gonflerait. La colle ayant sĂ©chĂ©, il garderait sa forme.

Dans un même ordre d’idées, on admet que le papillon qui vient de s’extraire de sa chrysalide, dont les ailes sont molles et chiffonnées pompe de l’air et de l’hémo-lymphe (“sang”) vers les nervures et les trachées de ses ailes qui grandissent et se déploient.

La soudaine apparition - ab nihil - d’une paire d’aile, sur le dos d’un mâle de Ph. bioculatum me paraĂ®t ĂŞtre un phĂ©nomène d’un autre ordre. Rappelons que les insectes n’ont pas de poumons et qu’ils respirent par un rĂ©seau de fins canalicules (les trachĂ©es). Dès lors, oĂą serait la "pompe" et dans quoi l’animal pomperait-il de l’air puisqu’il n’existe pas la moindre Ă©bauche d’ailes ? En absence d’une structure gonflable, que doit-il se passer ? Au risque d’être contredit, j’estime que cette croissance fulgurante est due Ă une multiplication cellulaire ultra rapide, tandis que le dĂ©ploiement de l’aile intervient sous l’effet des deux forces - bien connues en physiologie - que son la pression osmotique et la capillaritĂ©.

  • ACCOUPLEMENT

La parthĂ©nogenèse existe chez les phyllies ; elle serait mĂŞme la règle chez Phyllium giganteum oĂą le mâle n’a pas Ă©tĂ© dĂ©crit. Selon certains, il faudrait y voir une des causes du faible taux d’éclosions ainsi que de la fragilitĂ© des espèces. Dans un Ă©levage, il est donc avantageux de disposer de plusieurs mâles susceptibles de s’accoupler et d’autant de femelles pour lesquelles dĂ©bute la pĂ©riode de ponte. Intervient alors une difficultĂ© liĂ©e Ă la grande diffĂ©rence d’espĂ©rance de vie d’adulte entre les femelles et les mâles. Elle se compte en mois pour les premières, en semaines pour les seconds. Autre difficultĂ©, les femelles subissent six ou sept mues avant d’être adultes, les mâles seulement cinq. Dès lors, il faut compter sur la chance pour que coĂŻncide dans un Ă©levage, ne comptant que peu de reprĂ©sentants de chacun des deux sexes, la pĂ©riode favorable aux uns et aux autres.

J’ai observé que 12-15 jours pouvaient s’écouler entre un accouplement et la ponte des premiers oeufs. En général le mâle ne survit que peu de jours après s’être accouplé. La femelle en revanche, peut vivre plusieurs mois et ainsi pondre quelques centaines d’oeufs qui ont toutes chances d’être fécondés.

Précédant l’accouplement, le mâle de Ph. bioculatum demeure volontiers accroché fermement sur le dos de la femelle durant un jour ou davantage. Quant àl’accouplement proprement dit, il ne dure qu’une demi-heure environ et exige du mâle une certaine habilité car il est contraint àse livrer àune difficile contorsion pour entrer en contact avec l’orifice génital de la femelle qui est situé sous l’abdomen. La femelle ne semble guère émue par les assiduités de son partenaire car elle en profite généralement pour dévorer une entière feuille de ronce.

  • PEUT-ON "AIDER" LES PHYLLIES ?

Par cet article et ceux qui l’ont précédé, le lecteur aura pu se faire une opinion quant aux difficultés et aux déboires que l’on rencontre dans l’élevage des phyllies.

Il y aurait en réalité de quoi se décourager comme le disait naguère notre ami A. Deschandol. Toutefois, àforce d’observations, les causes de ces difficultés deviennent peu àpeu plus claires, moins illogiques, car elles apparaissent inhérentes àl’espèce. On se reprend àconsidérer l’élevage comme un challenge, une gageure dans laquelle on s’engage comme pour relever un défi.

Une question vient Ă l’esprit : comment l’éleveur peut-il intervenir pour que prospère l’espèce et que selon le titre de l’article "les phyllies dansent" ? La question est plus complexe qu’il n’y paraĂ®t. On peut effectivement intervenir mais avec doigtĂ© et modĂ©ration. Un Ă©leveur professionnel faisait remarquer rĂ©cemment que les phyllies Ă©taient des insectes particulièrement "Ă©motifs", sensibles au stress, qu’il faut manipuler avec beaucoup de douceur et jamais inutilement, en particulier lors des nettoyages de la cage et du changement de nourriture. Les phyllies sont indolentes et n’aiment guère les dĂ©placements ; elles ont probablement mauvaise vue et l’on ignore tout de leur odorat. On peut leur faciliter la quĂŞte de nourriture en disposant des feuilles fraĂ®ches Ă leur proximitĂ©.

Dans leurs rapports amoureux, on peut se faire un peu entremetteur. Le mâle semble un peu nigaud et bien souvent il ne voit pas ou ne sent pas une femelle pourtant proche de lui.

En conclusion, on peut aider les phyllies mais pas trop. Il semble que leurs mouvements chaloupés qui nous amusent tous seraient plutôt la manifestation d’une inquiétude collective qu’un signe de gaieté.

_Alors, que les phyllies dansent... mais pas trop.

Post Scriptum :
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[1] Newsletter du P.S.G. n° 37 pp 11-13.

[2] Newsletter du P.S.G. n° 38 pp 10-11.

[3] Rearing and Studying Stick and Leaf Insects. The Amateur Entomologist vol. 2, p. 46-48. Edited by Reg Frv.

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