Différenciation sexuelle chez les insectes
différenciation chromosomique et humorale
mercredi 17 janvier 2007
par JJ
JJ Peres - 12.06

Le problème de la différenciation du sexe chez les Insectes semblait résolu depuis fort longtemps par un nombre considérable d’observations et d’expériences apparemment à l’abri de toute critique. Le déterminisme primaire du sexe est chromosomique comme ailleurs. Chez une Drosophile, par exemple, la présence de deux chromosomes X dans le noyau zygotique lui imprime le sexe femelle, tandis que la présence d’un seul X lui imprime le sexe mâle. Ceci est banal, mais le fait caractéristique de la classe des Insectes semblait être l’absence de tout mécanisme physiologique interposé entre le sexe génétique de l’œuf et celui de l’individu qui en résulte ; on admettait couramment que la différenciation sexuelle de chaque organe et finalement de l’individu n’était, si l’on peut dire, que la somme des différenciations sexuelles des cellules les constituant.

Un organe aurait la morphologie caractéristique du sexe mâle parce que les cellules qui le constituent sont génétiquement mâles (un seul chromosome X pour la Drosophile). Il en serait de même pour le sexe femelle. Cette notion repose, entre autres raisons, sur l’étude des gynandromorphes.

On rencontre, en effet, parfois, chez les Insectes des individus monstrueux, qui sont une véritable mosaïque de territoires, les uns mâles, les autres femelles, étroitement juxtaposés sans qu’aucun ne présente la moindre intersexualité. On connaît des cas chez Locusta migratoria où les deux moitiés du corps de part et d’autre du plan de symétrie étaient l’une mâle l’autre femelle, parfaitement typiques, avec des organes génitaux fonctionnels. Ce phénomène semble relativement fréquent chez les phasmes puisqu’il a été rapporté chez de nombreuses espèces. Certaines des interprétations avancées dans cet exposé présentent certes un caractère quelque peu hypothétique, mais il n’en est pas moins définitivement démontré que chez cet Insecte la différenciation sexuelle met en un mécanisme endocrine complexe où l’élément le plus clairement établi est production d’une hormone masculinisante par des cellules d’origine conjonctive. incorporées à la gonade des individus génétiquement mâles, ce qui représente une extraordinaire convergence avec l’interstitiel du testicule des Vertébrés.

Gynandromorphes d’Heteropteryx dilatata

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Gynandromorphe bipartite
Photo - François Tetaert
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Gynandromorphe mosaïque
Photo - Alexandre Bonaccorso
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Gynandromorphe adulte
Photo - Dr Francis Seow-choen

Un tel état de fait s’explique évidemment facilement si l’on admet un déterminisme local du sexe cellule par cellule. Il suffit qu’un chromosome X vienne à se perdre au cours d’une des premières mitoses d’un noyau zygotique femelle, dans une espèce où ce sexe est défini par la présence de deux chromosomes X. Les cellules filles de ce noyau qui n’a plus qu’un seul X seront mâles et au cours de l’embryogenèse donneront des territoires puis des organes mâles au milieu d’un organisme femelle. Ainsi peut se réaliser un gynandromorphe. La formation d’une telle mosaïque est beaucoup plus difficile à expliquer si l’on admet un déterminisme humoral du sexe, l’hormone ou le système d’hormones qui circulent ou diffusent dans le milieu intérieur de l’embryon devant en principe imposer le même sexe à toutes ses parties.

L’étude des gynandromorphes, quoique importante, n’est pas le seul argument apporté contre l’idée d’un déterminisme humoral du sexe des Insectes. Un grand nombre de travaux, actuellement classiques, semblaient bien démontrer que dans ce groupe la différenciation du sexe soit totalement indépendante de la gonade. De nombreux physiologistes ont castré plus ou moins précocement des larves d’Insectes sans qu’il en résulte le moindre trouble de la différenciation sexuelle. On a même pratiqué des interventions extrêmement précoces, notamment en obtenant des Drosophiles dépourvues d’éléments germinaux en détruisant aux rayons ultraviolets le pôle germinal de l’œuf. On a aussi effectué des transplantations de gonades entre larves de sexes opposés.

Face à cette accumulation de résultats négatifs, on ne peut citer que peu d’observations plaidant dans l’autre sens. Il y a toutefois le cas connu depuis longtemps des Andrènes stylopisées. On sait que chez ces guêpes à grand dimorphisme sexuel, les individus parasités par des Stylops présentent un certain degré d’intersexualité. On a démontré que chez ces animaux les C. allata notamment sont très atrophiés. On peut dans ces conditions facilement admettre que le parasite trouble le fonctionnement d’une glande endocrine contrôlant la différenciation sexuelle. Mais beaucoup d’autres hypothèses sont possibles et ont été avancées pour expliquer ces faits.

Un argument plus convaincant résulte du travail qui a été fait sur Orgyia. On sait que ce papillon dont le mâle présente une morphologie normale possède une femelle obèse et microptère. L’auteur a réalisé des échanges de disques imaginaux alaires entre larves mâles et femelles. Or il constate, entre autres résultats, qu’un disque alaire prélevé sur une femelle et qui était donc destiné à donner une aile microptère fournit une aile normale si on le transplante (dans les conditions voulues) sur une larve mâle. L’ambiance de son hôte a donc imposé à ce disque imaginai une différenciation qui dans cette espèce est caractéristique du sexe mâle, alors qu’il possédait certainement une constitution génétique femelle. L’hypothèse de l’intervention d’un ménisme humoral est incontestablement la plus vraisemblable dans ce cas.

Mais l’étude de loin la plus complète et la plus intéressante a été faite sur Lampyris noctiluca. Chez cette espèce à fort dimorphisme sexuel, le mâle effectue quatre mues larvaires et la femelle cinq, puis la mue nymphale et la mue imaginale .Le dimorphisme porte de nombreux caractères : le mâle est un Malacodermoïde typique tandis que la femelle est aptère, plus ou moins larvoïde avec un appareil lumineux beaucoup plus développé. Chez la jeune larve, la morphologie externe, comme l’anatomie de la gonade, sont strictement indifférenciées, les deux sexes étant indiscernables. Le dimorphisme commence à se manifester aussi bien dans la morphologie que dans la structure gonadique à la suite de la troisième mue, donc à partir du stade IV. Dans une gonade indifférenciée on observe, d’une part, des cellules germinales bien reconnaissables à leur grande taille et, d’autre part, des cellules conjonctives dont une partie s’organise en des sortes de capsules recoupant la gonade en un grand nombre de follicules. Au moment de la différenciation, on constate que, dans les larves destinées à fournir des mâles, la région apicale des capsules folliculaires, c’est-à-dire la région de ces capsules dirigée vers l’extérieur de la gonade, se délamine en deux assises, puis l’assise interne prolifère constituant le tissu apical. Chez les larves destinées à fournir des femelles, cette délamination ne se produit pas et le tissu apical n’apparaît pas Dans la suite du développement, donc depuis une époque se situant dans le courant du stade IV jusqu’à l’approche de la nymphose, le tissu apical présente l’aspect d’un tissu sécréteur actif. A l’approche de la nymphose cette activité régresse et le tissu apical lui-même disparaît tandis que la spermiogenèse s’instaure dans les follicules testiculaires. Le rôle de ce tissu apical a pu être établi par une série d’expériences particulièrement démonstratives.

  • 1° Le rôle déterminant du sexe mâle a pu être établi par la méthode classique des parabioses. Deux jeunes larves, l’une mâle, l’autre femelle, sont fixées l’une à l’autre par la région dorsale de l’abdomen au moyen d’une suture bordant une fenêtre elliptique pratiquée dans cette paroi dorsale. Ainsi mis en communication hémolymphatique, les deux partenaires continuent à se déplacer, à se nourrir et muent de façon rigoureusement synchrone. On constate que dans ces conditions l’ovaire de la femelle se masculinise et développe même du tissu apical, puis subit la spermiogenèse, c’est donc bien le sexe mâle qui est « contagieux » et qui par conséquent correspond à la présence d’un facteur masculinisant, tandis que le sexe femelle représente la forme neutre correspondant à l’absence de ce facteur.
  • 2° II est possible de montrer par des expériences de transplantations que le facteur masculinisant provient de la gonade, et que celle-ci est active justement pendant la période où le tissu apical donne des signes histologiques d’activité. Si l’on implante à des larves femelles du stade IV ou V des gonades mâles d’âges variés, on observe en effet les résultats suivants :
Age du testicule implanté Devenir de la femelle réceptrice
Jeune stade IV Masculinisation de toutes les femelles
Stade IV âgé ou V jeune Masculînisation de toutes les femelles
Stade V âgé Masculinisation d’une partie des femelles
Nymphe Pas de masculinisation

Quant à la femelle réceptrice, seule la larve est masculinisable, la nymphe ne l’est plus.

  • 3° Les transplantations inverses d’ovaires dans des récepteurs mâles permettent de compléter ces notions. Si l’on implante de jeunes ovaires du début du stade IV, à des larves mâles, celles-ci ne sont pas transformées, c’est l’ovaire implanté qui est masculinisé et se transforme en testicule. Mais le fait le plus remarquable est que si l’on implante un jeune ovaire à une larve mâle préalablement castrée, après la période de différenciation sexuelle, on constate encore une masculinisation de l’ovaire implanté : la différenciation femelle est bloquée et l’on observe une spermiogenèse peu abondante. L’explication de ces résultats est évidemment délicate ; on peut songer qu’il subsiste chez le récepteur castré un reliquat d’hormone masculinisante. On peut aussi penser qu’il existe un autre organe sécréteur doublant ou relayant le tissu apical chez la larve mâle différenciée.

L’organe ayant fourni les résultats les plus intéressants est la Pars intercerebralis. Cette région du cerveau comprend une vingtaine de cellules neurosécrétrices colorables par le bleu Alcian. Les caractères cytologiques de ces cellules et spécialement l’aspect des grains de sécrétion qu’elles contiennent permet de les classer en trois catégories, que l’auteur désigne comme cellules à gros grains, à petits grains et à moyens grains. Les cellules à gros et à moyens grains ont un comportement identique dans les deux sexes, leur activité commence dès le stade I, elle est cyclique et bien synchronisée sur le cycle des mues, la période d’activité se situant pendant le premier tiers de chaque intermue. Rien ne s’oppose à ce qu’on leur attribue la production de l’hormone prothoracotrope dont la production doit présenter cette chronologie.

Le fonctionnement des cellules à petits grains présente, au contraire, un net dimorphisme sexuel. Chez les larves mâles, l’activité de ces cellules débute à la troisième mue, donc au moment où va se produire la délamination apicale des cellules conjonctives des enveloppes folliculaires, amorce de la différenciation gonadique. Cette sécrétion devient rapidement importante. Au contraire, chez les larves femelles, la sécrétion des cellules à petits grains débute seulement au stade suivant (quatrième mue) et reste d’une intensité très inférieure à celle du sexe mâle. Ces observations histophysiologiques suggèrent l’hypothèse que cette neurosécrétion des cellules à petits grains soit à l’origine de la différenciation gonadique : une activité précoce (dès la troisième mue) et intense de cette catégorie cellulaire entraînant la différenciation d’un tissu apical dans la gonade et par là orientant le développement de l’animal vers le sexe mâle. Cette hypothèse a pu être étayée par l’intervention expérimentale suivante :

  • Si l’on prive une larve mâle en début de stade IV des deux complexes Corpora allata-cardiaca, on constate que toute neurosécrétion de la Pars se trouve bloquée et que la majorité des larves opérées (14 sur 18) se trouve féminisée et évolue en femelles.
  • Cette même opération pratiquée après la différenciation du tissu apical, c’est-à-dire pendant la seconde moitié du stade IV ou le stade V, est sans aucun effet.
  • Elle est également sans effet lorsqu’on la pratique sur des femelles.

C’est donc bien sur la différenciation du tissu apical que semble agir le blocage de la neurosécrétion par ablation des complexes C. allata-cardiaca. Dix à quinze jours après une telle opération, on constate que les C. cardiaca régénèrent à partir des nerfs cérébrocardiaques tandis que la perte des C. allata est définitive. Or chez de tels individus la neuro-sécrétion de la Pars reprend activement. C’est donc l’élément C. cardiaca qui est actif dans l’ensemble C.allata-cardiaca. Certaines des interprétations avancées dans cet exposé présentent certes encore un caractère quelque peu hypothétique, mais il n’en est pas moins définitivement démontré que chez cet Insecte la différenciation sexuelle met en un mécanisme endocrine complexe où l’élément le plus clairement établi est la production d’une hormone masculinisante par des cellules d’origine conjonctive incorporées à la gonade des individus génétiquement mâles, ce qui représente une extraordinaire convergence avec l’interstitiel du testicule des Vertébrés.

Mais la question la plus importante qui se pose maintenant dans le domaine de la différenciation sexuelle des Insectes est celle de la généralisation des faits découverts chez Lampyris. Il n’est pas douteux que chez beaucoup d’Insectes la différenciation sexuelle est beaucoup plus précoce et se produit pendant la vie embryonnaire, ce qui rend impossible ou du moins fort difficile une expérimentation analogue à celle de J. Naisse. Nous avons personnellement étudié le cas de Locusta migratoria. Si l’on fait des échanges de gonades entre larves mâles et femelles, âgées de moins d’une heure, donc aussitôt après l’éclosion, on constate que la gonade implantée se développe parfaitement selon son sexe d’origine et n’interfère en rien avec la différenciation sexuelle de son hôte ; ceci aussi bien dans le cas d’un ovaire implanté à un mâle que dans celui d’un testicule implanté à une femelle. Mais, si l’on examine ces larves néonates, on constate que leur sexe somatique est parfaitement déterminable dès l’éclosion et que leurs gonades sont déjà très nettement différenciées en ovaire ou testicule Ce genre d’explication est certainement applicable à la majorité des cas rapportés dans la littérature où des échanges de gonades ou des castrations précoces n’ont en rien interféré avec la différenciation sexuelle des animaux en expérience.

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mécanisme de la différenciation sexuelle de Lampyris noctiluca

Mais ceci ne résout pas le problème posé par l’existence des gynandromorphes qu’ils soient bipartis ou en mosaïque plus ou moins complexe et dont on connaît de beaux exemples qui sont beaucoup plus aisément explicables dans le cadre de la théorie classique du déterminisme purement chromosomique de la différenciation sexuelle des Insectes. Dans l’état actuel de nos connaissances, il me semble impossible de dire si certains Insectes ont une différenciation sexuelle purement chromosomique et d’autres une différenciation humorale, les formes ayant fourni des gynandromorphes appartenant toutes à la première catégorie, ou bien si tous ont une différenciation humorale plus ou moins précoce, le phénomène du gynandromorphisme relevant d’une toute autre explication.

Chez les Arachnides

Des cas de gynandromorphes peuvent aussi se présenter chez les arachnides.

Voici pour illustrer un très bel exemple chez une mygale : Poecilotheria ornata (Photo d’Emanuele Biggi)

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Poecilotheria ornata
Auteur : Emanuele Biggi
Post Scriptum :
Référence : JJ PERES - Etude morphologique et comparative des glandes rétrocérébrale des différents ordres d’insectes (Thèse).
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