Un cas de nanisme chez Acrophylla wuelfingi
samedi 14 octobre 2006
par brunob

Philippe Ravat

LE MONDE DES PHASMES n° 34 (Juin 1996)

Mots-clés : Elevage, Nanisme, Mue, Hormone .Acrophylla wuelfingi, .

J’observe depuis plusieurs mois au sein de mes espèces un phénomène curieux chez Acrophylla wuelfingi.

Des jeunes (8), sont sortis de l’oeuf la première semaine d’octobre, et ont commencé leur chemin dans la vie de phasme, confinés aux limites d’un terrarium de taille appréciable (75x60x40 cm) pour eux tout seuls.

Tout se passa bien lors des 3 premières mues qui, à chaque fois, se sont déroulées dans un intervalle de temps de 10 jours pour ces 8 individus.

Puis, un des jeunes (un mâle de 8 cm avec sa ligne dorsale blanche caractéristique) stoppa là son évolution et "décida" de ne plus grandir. En effet il n’a plus mué depuis décembre, alors que ses congénères nés en même temps sont maintenant de long et beaux adultes depuis fin avril.

L’individu qui ne mue plus semble donc frappé de nanisme, j’ai recherché comment se déroule la mue chez les insectes afin de pouvoir émettre des hypothèses sur l’anomalie que possède mon phasme qui "veut rester jeune".

LE DETERMINISME DE LA MUE

Ce déterminisme est hormonal, les mécanismes (exposés simplement) sont les suivants :

Au niveau du "cerveau" de l’insecte, constitué en fait de la concentration de ganglions nerveux qualifiés de cérébroïdes, on rencontre des cellules neurosécrétrices (cellules excitables et sécrétrices) dans une région nommée Pars intercerebralis (entre le premier et le second ganglion).

Ces cellules, lorsqu’elles sont stimulées par un stimulus externe (température, lumière, photopériode, nourriture,...), sécrètent une neurohormone (hormone : molécule support de la communication entre les cellules. Neuro : cette molécule est sécrétée par une cellule nerveuse).

Cette neurohormone est la PTTH (prothoracicotrope hormone) qui chemine dans la cellule nerveuse le long de son axone (partie étendue de la cellule nerveuse communicant avec d’autres régions nerveuses).

La PTTH arrive au niveau d’une région nommée corps cardiaque (corpora cardiaca) située dans le second ganglion cérébroïde. A ce niveau elle est libérée dans l’hémolymphe : liquide baignant le milieu intérieur de l’insecte, constitué du sang et de la lymphe ; le système sanguin des insectes n’étant pas totalement clos par des veines et artères comme chez les vertébrés.

Cette hémolymphe transporte la PTTH, qui vient alors stimuler les cellules cibles qui sont les cellules des glandes prothoraciques situées dans la première partie du thorax. La stimulation de ces cellules endocriniennes provoque la libération par la glande d’une autre hormone : l’ecdysone.

L’ecdysone qui est l’hormone de la mue, puisque ses cellules cibles sont les cellules épidermiques, mais aussi celles de l’épithélium de la trachée (organe respiratoire) de la cavité buccale et anale.

Toutes ces cellules sous l’action de l’ecdysone sécrètent une nouvelle cuticule molle sous l’ancienne, qui est partiellement hydrolysée puis abandonnée quand l’insecte en sort. L’insecte a alors un certain temps pour grandir, le temps que sa nouvelle cuticule durcisse (sous l’action d’une autre hormone : le burssicon) et assure sa fonction d’exosquelette.

Une autre hormone intervient pour déterminer la nature de la mue : mue larvaire ou mue imaginale (voire nymphale pour les insectes présentant une phase de métamorphose : comme de la chenille au papillon). C’est l’hormone juvénile : JH sécrétée au niveau des corps allâtes (corpora allata), localisés dans la même région que le corps cardiaque (corpora cardiaca). Selon la concentration en JH dans l’hémolymphe, l’ecdysone provoque tel ou tel type de mue.

Voici donc exposé, d’une manière parfois simplifiée, le déterminisme de la mue chez les phasmes.

Ainsi, le jeune Acrophylla qui ne mue plus présente certainement un dysfonctionnement au niveau des ganglions nerveux (pas de sécrétion de PTTH) ou au niveau des glandes prothoraciques (pas de sécrétion d’ecdysone). Ce n’est sûrement pas un problème d’hémolymphe, celle-ci étant vitale. L’anomalie peut être de nature génétique : impossibilité pour les différents types de cellules de synthétiser les molécules hormonales, ou les récepteurs aux hormones des cellules cibles, à partir de l’ADN.

Cependant, comment se fait-il que l’insecte ait mué 3 fois normalement, et qu’il n’en soit plus capable ensuite ? Les insectes préservent de nombreux secrets !!

JPG - 53.7 ko
Acrophylla wuelfingi
A : Mâle "nain" ; B Mâle adulte , les deux du même âge

N.D.L.R. : Voir également l’article de F. Sordet : Mécanisme de la mue. Le Monde Des Phasmes, 24(1993) : 21 -23.

Remarque : J’ai personnellement observé ce phénomène chez une femelle Haaniella grayii qui a stoppé sa croissance au stade 4 et est morte quelques mois plus tard alors que ses "frères et soeurs" étaient tous devenus adultes - Arno S.

Post Scriptum :
Les articles cités sont issus de la revue du GEP "Le Monde des Phasmes". Liberté a été prise sur notre site de republier certains articles sans pour autant nécessairement contacter leurs auteurs. Néanmoins, en cas de désaccord et afin d’éviter toute méprise, ces articles pourront être retirés sur simple demande dudit auteur.
Signatures: 0
Date Nom Sites Web Message