Pour que dansent les Phyllies
Article initial en 4 parties
dimanche 4 mars 2007
par brunob , Arno

Le Monde des Phasmes n°19, pp. 16-21 (octobre 1992)


En parcourant les 18 numéros du "Monde Des Phasmes" parus jusqu’à ce jour on constate que près de la moitié d’entre eux contiennent tantôt une simple note, tantôt un article de fond se rapportant aux différentes espèces de Phyllies.
Les auteurs se nomment A. Deschandol, F. Langlois, P. Matyot, M. Vergne et j’en oublie. Toutes ces publications reflètent l’attrait particulier de ces insectes dû au fait qu’ils ont poussé à un degré incroyable leur ressemblance tant par la forme que par la couleur avec une feuille. Les phyllies partagent avec les papillons de jour et les coccinelles le privilège d’être aimées de tous, en particulier des enfants qui leur prodiguent parfois de touchantes marques d’affection. Et puis, on ne peut rester insensible à la façon dont elles se trémoussent en se livrant à une sorte de marche chaloupée des plus comique et gracieux effet. « Insectes feuilles » dit-on en anglais, « feuilles qui marchent » en allemand. On est tenté de voir dans cette analogie avec le monde végétal un moyen qu’aurait trouvé l’insecte de se fondre dans le milieu environnant afin d’échapper aux prédateurs probablement que sont les oiseaux. Mais, il s’agit là d’une interprétation quelque peu antropomorphique qui postule que les oiseaux aient la même vision que nous, or rien n’est moins sûr. A défaut d’armes de dissuasion, beaucoup d’animaux et en particulier les insectes cherchent leur salut dans l’immobilité. Que signifie alors la "danse" collective à laquelle se livrent parfois les phyllies au risque de signaler ainsi leur présence à l’attention des prédateurs ?

Par ailleurs, si, grâce à la perfection de leur camouflage les phyllies parvenaient à leurrer tous leurs prédateurs, elles pulluleraient. Or, c’est loin d’être le cas, comme les autres phasmidés, les phyllies ne sont guère communes dans leur habitat, en l’occurrence la forêt tropicale humide.

La plupart des publications relatives aux phyllies font état des difficultés et des déboires que rencontrent les membres du G.E.P. ou du P.S.G. dans leurs tentatives de maintenir les espèces les plus courantes. Si l’on veut que les Phylliidae soient un jour aussi communs dans nos élevages que le sont les Lonchodinae ou les Eurycanthinae. il faut d’une part diffuser toutes les informations recueillies par les éleveurs chanceux et, d’autre part, distribuer des oeufs à tous ceux qui ont acquis de l’expérience avec des espèces "faciles" et qui désirent s’essayer à un élevage plus délicat. Plus nombreux seront les éleveurs, plus grande sera la chance de voir ces espèces s’implanter solidement. C’est, je crois, le sens des conclusions que donne à ses articles A. Deschandol. Dans le "Monde Des Phasmes" n° 6 page 17 et n° 7 page 15 cet auteur énumère, non sans humour, tout ce qu’il a tenté ou omis de faire pour la prospérité des espèces, sans que la réussite ait toujours récompensé ses efforts.

NAISSANCE D’UNE PASSION ET CE QUI S’ENSUIVIT

En 1986, je ramenais non sans peine en Europe toute une ménagerie de grands insectes en provenance du Cameron-Highlands (Malaisie). Parmi ceux-ci deux grandes Phyllies (P. siccifolium ?). Je ne parvins plus à les nourrir quand fut épuisé le bouquet de feuilles de goyavier cueilli à leur attention. Ces deux insectes vécurent néanmoins assez longtemps et pondirent quelques oeufs dont plusieurs ont éclos. En dépit des problèmes de nourriture, deux des trois générations se succédèrent mais le taux d’éclosion et de survie de jeunes nymphes allait en diminuant et l’espèce finit par s’éteindre. Mais j’avais contracté le virus pour ces mignonnes bestioles !

Automne 1991, la chance devait me sourire : Comme chaque année, depuis plus de 60 ans, se tient à Baie (Suisse alémanique) une bourse d’entomologie. Venus d’Allemagne, plusieurs vendeurs - des éleveurs - y proposaient du matériel vivant. La rareté faisant leur prix, j’ai acquis contre pas mal d’argent trois femelles adultes : une Phyllium giganteum, une Ph. celebicum et une Ph. bioculatum ainsi que les oeufs de cette dernière espèce. Que leur advint-il ?

La Ph. giganteum pondit une vingtaine d’oeufs brun-noirs, identiques à ceux décrit dans l’article de B. Hausleithner traduit par M. Vergne (n° 6 page 16). Six mois plus tard quatre oeufs seulement avaient éclos donnant naissance à des femelles (le mâle de Ph. giganteum n’a pas encore été décrit mais existerait). Au moment où j’écris ces lignes (mi-août 92) ces quatre jeunes vivent toujours mais semblent bien fragiles. Elles ne grandissent que très lentement n’ayant subi que trois mues jusqu’à ce jour. La Ph. bioculatum se révéla être une excellente pondeuse. Lorsqu’elle périt, début mai, j’avais récolté près de 250 oeufs. Des oeufs beiges très typiques, caractérisés par cinq arêtes bien marquées. Ces oeufs ont été recueillis en vrac, sans tenir compte de la chronologie de la ponte. Après six mois d’incubation, ces oeufs se sont mis à éclore à la cadence de 4 à 5 par jour, soit au rythme auquel ils avaient été pondus six mois auparavant. Comme les heureuses naissances se sont poursuivies deux mois durant, on peut en conclure que le taux de natalité fut voisin de 100.

A sa naissance, la jeune Ph. bioculatum est une ravissante et vive petite créature, de teinte rouge sombre, qui explore son univers sans se lasser, des heures durant. Avec le temps, elle se calme, sa teinte vire au brun puis elle acquiert sa couleur verte définitive. La première partie de la vie des jeunes phyllies est très critique : près de la moitié d’entre elles meurent avant la première mue pour des raisons qui ne sont pas toujours évidentes.

La femelle Ph. celebicum est facile à identifier par le fait qu’elle cache sous, ses élytres une paire d’ailes bien développées, contrairement aux femelles des autres espèces. Elle pondit un certain nombre d’oeufs ayant l’aspect d’un petit "jerrican" déformé comme le dit A. Deschandol (n° 12 page 12). L’incubation étant très courte - 3 mois - et la croissance des jeunes très rapide, cette femelle fit connaissance, si l’on peut dire, de sa progéniture, à savoir trois femelles et un mâle. L’aspect de ce dernier est très caractéristique : pourvu d’ailes qui lui permettent de voler, son corps est allongé, beaucoup plus étroit que celui des femelle. Il est doté de longues antennes (voir article précité page 10).

Dans une enceinte où règne une température de 26°C et une humidité relative de 80%, bien nourri de feuilles de ronce souvent renouvelées, ce petit monde semblait se porter à merveille. Que croyez-vous qu’il advint ?

Notre mâle précité se révéla être un très actif « Don Juan ». Ses trois soeurs n’ayant pas encore subi leur mue imaginale, soit la dernière, par laquelle elles acquièrent leurs ailes et deviennent adultes, il ne parvint pas à s’accoupler avec elles. Il tenta alors sa chance auprès de la quatrième femelle qui n’était autre que sa mère. L’inceste fut consommé mais pour elle, ce fut fatal. Elle pondit encore quelques oeufs mais un jour plus tard, je la trouvais morte, couchée sur le dos, les six pattes en l’air. L’émotion avait peut-être mis fin à sa vie déjà longue ! Les jours passant, « Don Juan » s’intéressa alors aux deux aînées de ses soeurs devenues adultes entre temps. Elles acceptèrent ses hommages et pondent depuis des ribambelles d’oeufs. L’avenir de l’espèce est assuré ! Et qu’advint-il de la cadette ? Elle rata sa dernière mue, s’empêtra dans son exuvie, perdit une patte antérieure. Son air minable ne découragea pas « Don Juan ». La pauvrette ne résista pas à ses assauts et périt le lendemain.

Egalement présentes dans l’enceinte, les quatre jeunes Ph. giganteum, pourtant mignonnes ne semblaient nullement intéresser notre « Don Juan » par contre son attention semblait se porter sur une ravissante P. bioculatum devenue récemment adulte. A ce stade du récit, je vais être accusé d’être victime de mon imagination ; voici cependant les faits : A chaque tentative d’approche, « Don Juan » en était empêché par ses deux sœurs qui faisaient positivement barrage de leur corps. La jalousie existerait-elle chez les insectes ? « Don Juan » parvint cependant à déjouer leurs manoeuvres et à s’approcher de Ph. bioculatum. Il lui fallu un moment pour réaliser qu’il n’avait rien à espérer d’elle, tout comme moi qui avait escompté un bien improbable hybride. Chez les insectes, la spécificité des espèces est une règle qui ne connaît que peu d’exception. On sait que chez les phyllies, la vie du mâle est plus brève que celle des femelles. Peut-être épuisé par ses exploits. « Don Juan » expirait quelques jours plus tard. Collègues éleveurs : II vous suffit d’héberger dans un même vivarium trois espèces de phyllies voisines dont les représentants sont en cours de croissance pour vivre en direct les épisodes d’un feuilleton plein de rebondissements. Et puis, la récolte et le tri des oeufs est une bien amusante activité.

Soit dit en passant, aucun des œufs achetés, à la bourse de Baie n’a éclos à ce jour en dépit des conditions favorables de stockage ; ils sont probablement "stériles".

SOYONS SERIEUX

Après ces digressions tant soit peu romantiques, les lignes qui suivent seront consacrées à quelques observations personnelles relatées pêle-mêle, qui devraient compléter ou confirmer ce que d’autres auteurs ont écrit à propos des phyllies. Des déboires seront peut-être ainsi épargnés aux nouveaux éleveurs.

  • LES OEUFS

Humidité et température On a beaucoup écrit sur les conditions de stockage des oeufs qui favoriseraient les éclosions. Les nombreuses naissances qui se sont produites à un rythme régulier durant plusieurs semaines m’ont permis de faire d’utiles et parfois d’étranges observations.

L’humidité et la température sont deux facteurs qu’il faut contrôler avec soin pour tenter de recréer un micro-climat analogue à celui dans lequel vivent les phyllies. On doit garder à l’esprit que ces espèces ainsi que leurs oeufs présentent, à l’encontre des autres phasmidés, une très grande surface d’échange avec le milieu ambiant. Le risque de dessèchement est donc beaucoup plus élevé. Une température de 26 à 28°C et une humidité relative de 80 à 90% sont favorables à l’incubation mais ces conditions deviennent impératives au moment présumé de l’éclosion. La preuve m’en a été donnée à maintes reprises. Dans les conditions précitées les naissances de Ph. bioculatum avaient lieu au rythme de 4 à 5 par jour. A titre expérimental, il a suffit de ramener la température à 22°C et l’hygrométrie à 70 pour que plus aucune naissance ne se produise. Elles ont immédiatement repris lorsque les conditions favorables ont été rétablies. On dit parfois qu’il faut conserver les oeufs sur du sable ou de la tourbe humide. C’est courir le risque de les voir se couvrir de moisissures. Le mieux est de les disposer dans une boîte de Pétri, non couverte, en une couche, pour faciliter les éclosions.

On observe parfois sur les oeufs la présence de très petits animaux presque incolores. Ce sont des Collemboles qui comptent parmi les insectes les plus primitifs. Etant végétariens et détritivores, ils sont d’utiles auxiliaires pour empêcher le développement éventuel des moisissures. Un mystérieux signal

On sait qu’une poule qui couve s’arrange pour que ses poussins naissent presque simultanément alors même que les oeufs ont été pondus à plusieurs jours d’intervalle. Un mystérieux signal semble déclencher les éclosions. Quelque chose d’analogue s’observe avec les oeufs de Ph. bioculatum. Toutes les éclosions, sans exception, se sont produites entre 9 heures et 11 heures du matin : jamais avant, jamais plus tard. La première idée qui vient à l’esprit est que la lumière du jour est le facteur déterminant. Eh bien non ; dans la plus complète obscurité les oeufs éclosent à l’heure fatidique si les conditions de température et d’humidité sont respectées !

  • L’ECLOSION

Puisque les phyllies naissent presque à heure fixe, il devrait être courant d’assister à une éclosion.

Erreur : une inattention de quelques secondes et déjà un nouveau-né arpente le vivarium en tous sens. On en conclu que l’événement a dû être très rapide. Pour l’observer - et cela en vaut la peine - il m’a fallu placer la boîte de Pétri sous l’objectif de mon microscope binoculaire et ... attendre. En parcourant du regard le contenu de la boîte on voit soudainement un capitulum se soulever. Une zone rouge se forme à la ligne de jonction avec l’oeuf, puis plus rien ne se passe durant plusieurs minutes. Brusquement, le capitulum est rejeté, le thorax apparaît, puis la tête, puis une à une, les trois paires de pattes au moyen desquelles l’insecte tente de s’extraire de l’oeuf. Tout le processus n’a pas duré plus d’une vingtaine de secondes. Cette émergence de la vie vous laisse admiratif et pantois. Un amateur de photomacrographie saura-t-il fixer l’événement ? Ce serait un exploit !

  • PLANTE NOURRICIERE

Avec quoi faut-il nourrir les jeunes phyllies ? La question du choix de la plante nourricière préoccupe toujours les éleveurs. Plusieurs Rosacées ont été proposées, en particulier l’aubépine dont les jeunes phyllies semblent très friandes. Toutefois, expérience faite, il semble avantageux de proposer de la ronce aux jeunes phyllies dès leur naissance. Les trois espèces précitées l’acceptent. Ce faisant on est assuré de pouvoir donner de la nourriture fraîche durant la période hivernale.

Une remarque : Les tendres feuilles vert-clair qui garnissent l’extrémité des tiges et qui nous paraissent bien appétissantes sont toujours boudées par les phyllies, jeunes ou adultes. Elles contiendraient une substance plus ou moins toxique.

Il est bon d’insister sur le fait qu’il faut toujours laver (doucher) les feuilles de ronce. Selon les lieux où elles ont été récoltées, au bord d’une route ou en lisière d’un champ cultivé, elles peuvent être contaminées par du plomb ou par des pesticides. Vérifier aussi que les feuilles n’abritent ni fourmis ni araignées.

  • LA MUE

Comme les autres phasmes, les phyllies grandissent à la faveur de plusieurs mues. Cinq ou six en général. Quiconque a eu la bonne fortune d’observer les différentes phases de la mue d’une phyllie se souviendra longtemps de l’extraordinaire spectacle auquel il a assisté. La séquence se déroule ainsi :

    • Lorsque le moment de muer approche, l’insecte cesse de s’alimenter et cherche un support élevé par rapport au sol, auquel il puisse se suspendre par les pattes antérieures.
    • La cuticule de son thorax se fend longitudinalement.
    • Passant à travers la fente en procédant à reculons, l’insecte s’extrait totalement de son ancienne enveloppe à la façon d’une main qui sort d’un gant.
    • Epuisé par cette délicate manoeuvre, l’insecte demeure un temps suspendu par les pattes antérieures à l’enveloppe vide appelée exuvie.
    • Dans cette situation l’insecte va grandir d’une façon extrêmement rapide. La croissance est visible à l’oeil nu. Il va atteindre sa nouvelle taille en une vingtaine de minutes !
    • Sa nouvelle cuticule s’étant solidifiée au contact de l’air et ayant repris des forces, l’insecte cherche à regagner son support en grimpant le long de l’exuvie.
    • Chemin faisant, il lui arrive de dévorer totalement ou partiellement son exuvie.

Leur anatomie foliacée complique singulièrement la mue des phyllies. Elles y laissent souvent une ou plusieurs pattes ou un fragment d’antenne (les mâles). Il arrive fréquemment qu’une phyllie demeure prisonnière de l’exuvie, le corps déformé ou les pattes empêtrées. L’exuvie et la nouvelle cuticule s’étant durcies à l’air, la malchanceuse bestiole demeurera infirme à vie. Si l’on intervient à temps et très délicatement, il est parfois possible de libérer l’animal de ses entraves. Sans intervention, une phyllie qui tombe sur le sol durant la mue est perdue. Il en va de même si le support qu’elle a choisi n’est pas assez éloigné du sol. C’est la raison pour laquelle il faut toujours prévoir des bacs d’élevage d’une hauteur suffisante (un petit aquarium désaffecté ne convient pas).

  • SE NOYER DANS UNE GOUTTE D’EAU

Faut-il ou ne faut-il pas pulvériser de l’eau dans les bacs d’élevage ? Questions que bien des éleveurs se sont posées. La pulvérisation est efficace pour assurer une hygrométrie convenable. Par ailleurs, on voit souvent des phasmes venir s’abreuver à même les gouttes.

Dans le cas de jeunes phyllies, surtout si elles viennent d’éclore, je déconseillerais vivement cette pratique. Les lois de la capillarité font qu’une jeune phyllie qui entre en contact avec une surface mouillée est littéralement collée à la paroi du bac en raison de la grande surface de son corps. Elle ne peut plus se déplacer et meurt, proprement noyée dans une goutte d’eau.

Dès lors, comment obtenir une hygrométrie de 80 à 90% ? La méthode la plus indiquée me semble la suivante :

      • remplir le fond du bac d’une couche de sable gorgée d’eau et la recouvrir d’une feuille de buvard surmontée d’une feuille de "papier de ménage".
      • tapisser une des parois du bac avec une feuille de buvard qui plonge dans le sable mouillé, elle agira comme une mèche et augmentera encore l’humidité en s’évaporant.

Remarques : Les jeunes phyllies se promènent volontiers sur ces surfaces humides sans risquer la noyade. Pour "faire le ménage" et récolter les oeufs rien de plus facile : on change le papier.

      • Réduire à très peu de chose les échanges gazeux avec l’extérieur. La photosynthèse des plantes diurne fournit assez d’oxygène.
      • La vie d’une phyllie, jeune ou adulte, peut se dérouler à la température ambiante (20 à 25°C). Les éclosions, par contre, ne semblent assurées qu’à une température comprise entre 26 et 28°C, voire 30°C. Cette température ne peut être maintenue en toutes saisons qu’au moyen d’un corps de chauffe électrique. Les éleveurs ingénieux et tant soit peu bricoleurs sauront installer un chauffage par résistance en basse tension. La puissance à installer est fonction du volume du bac d’élevage. On peut l’estimer à environ 1 W par litre. Bien commodes sont aussi les systèmes munis de thermostat qu’utilisent les aquariophiles. Quoi qu’il en soit, le chauffage doit être disposé de telle façon que les jeunes nymphes ne puissent en aucun cas s’approcher de la source de chaleur car elles se laisseraient "rôtir" sur place plutôt que de s’en éloigner.

Autres remarques : Durant les premières semaines de sa vie, la jeune phyllie préfère s’ébattre dans un espace restreint où elle aura moins de difficulté à trouver sa nourriture. Une "nurserie" de un à deux litres peut abriter une vingtaine d’individus, qui semblent trouver du plaisir à cette promiscuité. En revanche, il peut être prudent de répartir les insectes dans plusieurs enceintes pour réduire les risques de perdre tout l’élevage en cas d’épidémie.

  • CONCLUSION

De ce qui précède, on retiendra que l’élevage ab ovo des phyllies nécessite certainement plus d’attention que celui des autres phasmidés. Et encore, ne fut-il pas question des problèmes liés à la diminution de la fécondité au fil des générations, ni des maladies qui peuvent survenir sans raison apparente, ni des parasites. Pas plus que de la perte d’une ou deux pattes par suite d’une manipulation trop brusque et qui empêche l’insecte de se nourrir correctement.

L’élevage des phyllies est certes plein d’aléas et il y aurait de quoi se décourager comme le déplore notre ami A. Deschandol. Il faut cependant persévérer car tôt ou tard on finit par se lasser de l’élevage d’espèces trop faciles dont les représentants vous envahissent.

Pour finir : Quelques conseils pour démarrer un élevage :

      • Ne pas se laisser tenter par l’achat d’un petit nombre d’oeufs. Ils sont chers et souvent stériles, ayant été stockés dans de mauvaises conditions.
      • Acheter éventuellement des nymphes tout en sachant qu’une part d’entre elles ne parviendra pas au stade adulte et que les mâles et les femelles n’atteindront sans doute pas la maturité sexuelle au moment propice à assurer l’avenir de l’espèce.
      • Se procurer, même au prix fort, une femelle qui à commencé à pondre. Recueillir quelques centaines d’oeufs et les stocker dans de bonnes conditions. Les premières éclosions interviennent six mois plus tard (trois mois pour Ph. celebicum). Cette espèce est, de loin, la plus tolérante.

On peut être choqué par les prétentions financières des marchands mais il faut bien considérer que ceux-ci vivent de leur négoce, qu’ils louent, parfois cher des places de vente dans les bourses, qu’ils s’approvisionnent auprès de "dealers" orientaux ou sud-américains, quelquefois malhonnêtes mais toujours assez gourmands. Enfin que ce sont des éleveurs qui, comme nous, connaissent l’échec.

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Le Monde des Phasmes n°21, pp. 4-5 (mars 1993)


Depuis l’envoi de l’article paru sous ce titre dans le n° 19 du "Monde Des Phasmes", il m’a été donné de faire quelques observations que j’ai plaisir à communiquer à ceux pour qui ces insectes présentent un attrait particulier.

LES PHYLLIES SONT ELLES GREGAIRES ?

L’adjectif peut à coup sûr qualifier le comportement des Eurycanthinae et plus particulièrement celui d’Eurycantha calcarata à certains stades de sa vie. Tous les éleveurs auront remarqué la tendance qu’ont ces insectes, en dehors des périodes d’activité, à se regrouper dans un angle du vivarium sous la forme d’un faisceau pouvant compter une dizaine d’individus. Que signifie ce comportement ?
On peut admettre que sous cette forme l’insecte est moins reconnaissable par un prédateur que lorsqu’il est isolé. On ne manquera pas de s’interroger sur la nature du signal qui incite au regroupement en un lieu à un moment précis. S’agit-il d’un message odorant, comme chez les insectes sociaux ? Le regroupement n’a t-il lieu qu’en captivité ou existe-t-il dans la nature ?

  • LA DANSE

Les phyllies ont-elles un comportement identique ? Non, en ce qui concerne la tendance au regroupement. On peut estimer qu’il serait inutile dans la mesure où chaque individu assure son propre camouflage par son aspect foliacé. Par contre, dans un vivarium, les phyllies ont un comportement collectif évident. Le plus curieux est celui de la danse. Il arrive qu’à un instant précis tous les individus se trémoussent et oscillent simultanément au même rythme. Le spectacle qui dure plusieurs dizaines de secondes est irrésistible. Il prend fin aussi brusquement qu’il a débuté. Le phénomène est fortuit et je ne suis jamais parvenu à le provoquer délibérément. Il semble toutefois qu’il révèle une certaine inquiétude, mais il est douteux qu’il se produise spontanément dans la nature.
Quelle est la nature du signal ? Est-il sonore ou olfactif ? Peut-être est-il purement mécanique, transmis par les légers mouvements des rameaux de la plante nourricière.

  • ECLAIRAGE

Les observations relatives au rôle de l’éclairage ne sont pas toujours concordantes. Pour ma part, je considère que les phyllies s’accommodent bien d’un éclairage comportant journellement 12 heures de lumière et 12 heures d’obscurité, à l’instar des conditions d’illumination propres aux tropiques. Pour l’insecte, la lumière lui facilite indiscutablement la quête de la nourriture et la recherche d’une position favorable pour attaquer avec ses mandibules le bord du limbe de la feuille. A l’instant où la lumière jaillit dans un vivarium, il n’est pas rare de voir toutes les phyllies d’un élevage se précipiter vers la feuille la plus proche et la grignoter toute ou partiellement. Oui, la lumière est nécessaire : avez-vous déjà essayé de déguster un potage dans une totale obscurité ?

  • QUETE DE LA NOURRITURE

Dans le même ordre d’idée, il faut faciliter aux phyllies l’accès aux feuilles nourricières. Leur anatomie extérieure si particulière est déjà un sérieux handicap pour se nourrir dans une végétation dense. Par ailleurs, la phyllie manifeste une tendance à grimper le long des rameaux pour aller manger les feuilles les plus hautes dans le vivarium. Une fois qu’elle a réduit la feuille à ses nervures, la phyllie ayant sans doute une mauvaise vue et peu d’idées, ne sait pas redescendre vers les feuilles inférieures ; elle dépérirait sans l’intervention complaisante de l’éleveur.

  • GREGARISME NEONATAL

Grégaires, les jeunes fraîchement éclos, le sont d’une certaine façon. Ils sont loin de souffrir de la promiscuité ; bien au contraire. C’est faute d’avoir reconnu cette tendance que les éleveurs voient mourir la plupart de leurs jeunes avant qu’ils n’aient subi la première mue. En fait, les jeunes phyllies survivent trois à cinq jours sans absorber de nourriture puis elles commencent à perdre leurs pattes, tombent sur le dos et meurent. Dès lors, que faire ? A leur naissance, il faut installer les vives petites créatures rouges que sont les jeunes phyllies dans un récipient de faible volume faisant office de nursery. Cette enceinte sera agencée de telle sorte qu’elle puisse recevoir de la nourriture fraîche (un rameau de ronces garni de petites feuilles), qu’elle soit ventilée et qu’elle puisse être placée dans un vivarium bien éclairé où température et hygrométrie seront contrôlées (T° = 28-30°C et H.R. 80 % ). Mais surtout - et cette condition est impérative - il faut que la nurserie abrite déjà quelques phyllies ou même d’autres phasmes plus âgés qui savent se nourrir. On ne saurait dire que ces derniers servent d’exemple ; mais plus vraisemblablement en grignotant le bord des feuilles, ils les attendrissent suffisamment pour que les toutes jeunes phyllies puissent s’en nourrir à leur tour. Depuis que j’observe ces conditions, presque tous les jeunes parviennent à leur première mue et ont ainsi de bonnes chances d’atteindre le stade adulte.

Ces observations corroborent celles relatées par P. Matyot [1] et par John P. Killingreck [2].

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Le Monde des Phasmes n°22, pp. 15-16 (juin 1993)


A observer de près les phyllies, l’intérêt qu’elles présentent ne fait que grandir. La morphologie si particulière de ces insectes n’a d’égal que l’étrangeté de leur comportement.
On imagine sans peine les merveilleux morceaux d’anthologie que nous aurait donné un Jean-Henri Fabre, s’il avait eu des phyllies en élevage. A défaut d’un tel témoignage, le lecteur voudra bien se contenter des notes éparses qui suivent. Ces notes ont été glanées au fil des jours durant les six derniers mois de l’année 1992.
En avant-propos, il convient de mentionner un fait dont l’importance m’a longtemps échappé : l’exiguïté de l’enceinte qui abrite mon élevage. Il s’agit d’un vivarium dont la pius grande face est vitrée et mesure 0,5 m x 0,5 m, mais dont la profondeur est faible au point que son volume est inférieur à 40 litres. Cette disposition est évidemment très favorable à l’observation visuelle mais elle doit induire des comportements aberrants chez les insectes qui s’y trouvaient en surnombre.

Contrairement aux jeunes phyllies qui apprécient la promiscuité (voir "Le Monde Des Phasmes n° 21, pages 4 et 5), les adultes ou subadultes ne la supportent guère. Confinés dans un espace exigu, les insectes se trouvent confrontés à des conditions fort différentes de celles que leur offre la vie en liberté. Pour n’en citer que trois :

    • La difficulté à se nourrir sans se gêner mutuellement au cours de la quête de la nourriture.
    • Fréquente chez les insectes, la rivalité entre espèces ; en ce cas d’autant plus marquée qu’elle ne sont pas endémiques.
    • L’exacerbation de l’instinct sexuel due à une concentration en phéromones infiniment plus forte que dans la nature.
  • CANNIBALISME

Sont cannibales, les animaux qui dévorent des individus de leur propre espèce. Les mantes sont cannibales. Que cette pratique existe chez les phyllies ne m’étonnerait pas, bien que n’ayant jamais été témoin d’un tel repas. Sur quelles indications repose cette présomption ? Essentiellement sur d’inexplicables disparitions.

Qu’on veuille bien se référer à l’énumération des hôtes présents dans mon vivarium au cours de l’été 1992 (cf. "Le Monde Des Phasmes n° 19, page 16), Cette enceinte abritait notamment quatre jeunes Ph. giganteum dont la croissance semblait lente. J’escomptait cependant qu’une fois adultes, ces femelles assureraient l’avenir de l’espèce par une ponte importante. Déception ! Non seulement aucun oeuf ne fut pondu mais, pire, les quatre spécimens disparurent bel et bien sans laisser de traces. L’espèce est désormais perdue en ce qui me concerne. Les mystérieuses disparitions seraient-elles à mettre en relation avec la présence de six femelles de Ph. celebicum et de quelques mâles qui venaient d’arriver à maturité ?

Dans le cours des deux mois qui suivirent, une considérable quantité d’œufs fut pondue. Début octobre, comme en réponse à un étrange signal, toutes ces femelles cessèrent de pondre d’un jour à l’autre. Elles continuèrent à s’alimenter puis deux femelles et deux mâles périrent cependant que les quatre autres femelles disparaissaient à leur tour. A ce stade, il faut préciser que dans l’intervalle, six Ph. bioculatum étaient devenues adultes. Mi-novembre, chacune d’entre elles se mit à pondre au rythme de 5 à 6 oeufs par semaine tout en se partageant les faveurs de deux mâles.

Faut-il à nouveau invoquer le cannibalisme pour expliquer la totale disparition des Ph. celebicum ? Se peut-il qu’une espèce devenue adulte ne tolère pas la présence d’une autre et qu’elle s’en débarrasse en la dévorant ?

Au fil du temps, les indices s’accumulent mais les preuves demeurent minces. Une pièce à conviction cependant : une phyllie dont un des élytres est amputé d’une large surface semi-circulaire.

L’analogie avec l’aspect d’une feuille en cours de consommation est frappante. Comme quoi l’homochromie et l’homotypie ne seraient pas toujours une protection efficace ; bien au contraire en l’occurrence.

Lorsqu’il s’agit de mastiquer, les mandibules des phyllies sont, comme chez bien d’autres insectes, d’une efficacité remarquable. Il n’est que d’observer la rapidité avec laquelle une phyllie, bien que végétarienne d’ordinaire, dévore sa propre exuvie après une mue. Tout comme elle grignote en une dizaine de minutes une feuille de ronce de belle taille, y compris la nervure centrale pourtant dure et bardée d’épines.

A porter au dossier du cannibalisme, une information que vient de me fournir une biologiste de la région genevoise selon laquelle des Ph. celebicum qu’elle élevait ont mystérieusement disparus. Dans ce cas les soupçons ne se portent pas sur d’autres espèces de phyllies mais sur un phasme à tiare : Extatosoma tiaratum.

Que conclure ? Collègues éleveurs, ne suivez pas le conseil que je donnais naguère, celui d’élever plusieurs espèces de phyllies dans une même enceinte. Le comportement des insectes sera nécessairement aberrant et les observations que vous feriez si amusantes soient-elles n’auront aucune valeur scientifique.

Donc, en règle générale, une seule espèce par cage et pas d’adultes en surnombre.

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Le Monde des Phasmes n°25 (Mars 1994)


Chaque fois que sont faites de nouvelles observations quant à l’élevage et au comportement de ces insectes, il est bon qu’en soient informés ceux et celles - nombreux - qui se passionnent pour ces curieux animaux. Mentionnons que l’essentiel de ce qu’il faut savoir si l’on veut tenter un élevage se trouve condensé en un peu plus de deux pages dans une excellente et très récente brochure en langue anglaise consacrée aux phasmes ayant pour auteur Paul D. Brock [3]. On y apprend que parmi les vingt espèces de phyllies connues depuis le milieu du siècle dernier, seules quatre d’entre elles se sont maintenues en Europe avec plus ou moins de bonheur.

A relire l’article paru dans le Monde Des Phasmes (n° 19 p. 16-21) on constatera que son ton était quelque peu triomphaliste. Tout semblait indiquer que l’élevage des phyllies ne présentait aucune difficulté particulière et que tôt ou tard elles envahiraient nos vivariums.

Erreur totale ! Avec le temps, force est de constater que cet élevage est aléatoire, plein d’imprévus. Que les causes d’échec sont parfois évidentes, parfois mystérieuses.

L’article que consacre aux phyllies E. Delfosse (même numéro, p. 3) est plus réservé. L’auteur, excellent observateur (et dessinateur) donne de judicieux conseils.

C’est à juste titre que P.D. Brock, dans la brochure précitée, attribue à cet élevage la note de difficulté 2 à 3 (3 étant le maximum).

  • TAUX DE NATALITE

Les observations qui suivent se rapportent plus particulièrement à Phyllium bioculatum (Gray, 1832), espèce originaire de Java et du Sri Lanka. Les trois autres espèces que j’ai tenté d’élever, Phyllium siccifolium, Phyllium giganteum et Phyllium celebicum se sont peu à peu éteintes, quand bien même, la dernière citée, originaire de Thaïlande semblait promue à un brillant avenir.

Voici ce qu’il advint ; II y a quelques mois, un important stock d’oeufs donna naissance à d’assez nombreux jeunes de couleur brune, au corps oblong, marqué ainsi que les fémurs par des taches blanc- nacré. Alors que les adultes apprécient la ronce et le chêne, elles n’en voulurent point et périrent toutes avant la première mue. Peut-être aurait-il fallu leur offrir des feuilles de goyavier, plante dont la culture est facile si l’on dispose d’un local adéquat ... et de patience. Cette totale disparition de l’espèce est surprenante puisqu’un précédent élevage avait fort bien réussi.

Exit Phyllium celebicum, reste donc Phyllium bioculatum mais dont l’élevage se révèle plus délicat qu’il n’y paraît. Après environ six mois d’incubation dans des conditions optimales (température de 26-28°C, Humidité relative de 80-90% ), des éclosions se produisirent au sein d’un stock d’oeufs - un millier - sensés avoir été fécondés. Puis, peu à peu, ce rythme se ralentit au point qu’un jour ou deux s’écoulèrent sans qu’il y ait d’éclosion. Au bout de quelques mois, les oeufs, maintenant âgés d’un an, ont cessé d’éclore. Que contiennent-ils ? Dans la quasi-totalité d’entre eux c’est une gelée jaune, transparente, entourée d’une membrane. Peu d’entre eux montrent un début de développement embryonnaire. Très rarement le contenu est totalement sec.

Sans avoir tenu un décompte précis, on peut estimer que le taux de natalité n’excède guère 20%. Voila la raison pour laquelle bien des acheteurs sont déçus d’avoir fait l’acquisition d’une ou deux douzaines d’oeufs de phyllies et de n’avoir que de rares éclosions, voire aucune.

  • ECLOSION, PREMIERS PAS ET PREMIERE MUE.

Le phénomène d’éclosions massives et synchronisées en fin de matinée des oeufs de Phyllium bioculatum avait été mentionné dans l’article paru dans le Monde Des Phasmes (n° 19, P. 19). Cet article aura sans doute échappé à l’attention de M. J.-Y. Robert puisqu’il ne le cite pas en référence à la fin de son intéressante communication (n° 23, p. 11-15). Il est vrai que ses observations portent sur Extatosoma tiaratum. Pas plus que moi, il n’est parvenu à des conclusions définitives quant aux causes de ce curieux phénomène. Je suis assez enclin à croire que ce comportement est bénéfique à l’espèce par le fait qu’il faciliterait au nouveau-né la découverte de son milieu à un moment favorable de la journée. Il ne s’agit nullement d’une recherche de nourriture. La phyllie néonate peut en effet vivre plusieurs jours avant un premier repas si le climat lui est propice (température, humidité).

Quant à la dissémination des individus, elle a déjà lieu au moment de la ponte car au moment où l’oeuf apparaît la femelle le projette au loin par un brusque mouvement de l’abdomen du plus comique effet.

On peut s’interroger à propos de la couleur cuivrée ou franchement rouge de l’insecte qui vient de naître, couleur qui vire au brun puis au vert bien avant la première mue. Dans le monde animal et végétal la couleur rouge est souvent un avertissement qui signifie ; "attention, ne pas consommer je suis toxique !". Grâce à cette astuce 1 insecte serait protégé durant le laps de temps où son incessant vagabondage risque de le faire remarquer. Par la suite, son salut lui viendra de son remarquable camouflage et de son immobilité diurne.
Voir l’article "Le mimétisme chez les Phyllium".

Passés deux ou trois jours de grande activité, la jeune créature se calme’ et entreprend une vie qui sera pleine d’imprévus et d’incidents. On a déjà dit comment une simple goutte d’eau pouvait être pour elle un piège mortel. Puis vient la quête de la nourriture. Il semble bien que les jeunes ne savent pas toujours trouver ni atteindre la feuille qui leur conviendrait ni comment l’attaquer. Plusieurs auteurs pensent que la présence déjeunes plus âgées ou même ceux d’une autre espèce facilite les choses.

Au bout de deux ou trois semaines, si le jeune a survécu, il va lui falloir subir 1 épreuve de la première mue. La mue est toujours précédée de quelques jours de jeûne, l’insecte ne bouge plus et l’on craint pour sa survie ; il ne faut surtout pas le déranger. Le spectacle fascinant de la mue a été maintes fois décrit. Le danger qu’elle présente réside dans le fait que si l’exuvie à laquelle s’accroche l’insecte durant tout le processus se détache prématurément de son support et que l’animal dont la cuticule est encore molle et fragile tombe sur le sol il ne peut s’en sortir. Il demeurera empêtré dans son enveloppe et en mourra à moins que l’on parvienne à l’en extraire à temps par une délicate intervention.

Moins dramatique mais fréquent l’insecte perd des pattes dans l’aventure. S’il lui en reste au moins quatre, il pourra encore rechercher de la nourriture, sinon ...

A chaque mue, l’animal court des risques qui peuvent lui être fatal. Parfois tout semble s’être bien déroulé mais par la suite, il renonce à se nourrir. A l’autopsie on constate qu’il est vide, comme si l’appareil masticateur ou digestif ne s’était pas convenablement régénéré.

Il est arrivé qu’une femelle atteigne au stade subadulte une taille inhabituelle par sa grandeur ; à croire qu’il s’agit d’une espèce différente. Sa teinte verte a viré au jaune pâle, les nervures de ses élytres, l’extrémité de son abdomen et les fémurs de ses pattes se sont marqués de grandes taches brunes, mimant à la perfection une vieille feuille sur le point de tomber. Cette femelle est morte sans s’être accouplée ni avoir pondu. Un excès d’hormones de croissance sans doute.

Quel est le taux de survie des phyllies après la dernière mue ? Il doit, lui aussi se situer aux environs de 20% par rapport aux naissances. C’est là, me semble-t-il, le principal écueil que rencontre l’éleveur, sans qu’il ne puisse rien y changer.

  • MUE ET CROISSANCE

La mue imaginale d’une phyllie, celle qui lui confère son état adulte, est un spectacle rare fugace auquel on a parfois la chance d’assister car elle intervient souvent de jour, en fin de matinée, tout comme les éclosions. La description qui en a été donnée (Le Monde Des Phasmes n° 19 p. 20) demande de ma part quelques corrections et adjonctions. En fait, l’insecte s’accroche au support par ses pattes postérieures puis, l’exuvie s’étant fendue au niveau du thorax, il dégage en premier lieu sa tête, ses antennes et ses pattes antérieures, dans un mouvement de bascule vers l’arrière. Il demeure quelques instants suspendu, la tête en bas, puis, ayant repris des forces, il opère un brusque rétablissement. C’est alors qu’il entreprend de grimper le long de l’exuvie en direction du support en s’aidant des pattes médianes et antérieures. Il arrive parfois, qu’au passage, il dévore son exuvie, partiellement ou totalement. Puis, dans un temps très court, de l’ordre de la demi-heure, il acquiert sa taille définitive.

A ce moment intervient un phénomène plus étrange encore qui ne semble pas avoir été décrit en détail : il s’agit de l’acquisition des ailes. On sait que jusqu’à sa quatrième mue, un mâle de Ph. bioculatum est totalement aptère. C’est à l’issue de sa mue imaginale, la cinquième, qu’il se pourvoira d’une paire d’ailes qui ne fera de lui, certes pas, un brillant voilier mais qui lui permettra d’amortir une chute ou de se rendre par la voie des airs auprès d’une femelle qu’il convoite.

Comment cela se passe-t-il ? On voit tout d’abord apparaître deux minuscules points vert-vif à la base du métathorax. En quelques minutes, chacun des deux points se transforme en un disque de la taille d’une graine de lentille. L’objet grandit à vue d’oeil, prend une forme oblongue, devient translucide et montre déjà un réseau de nervures. La croissance se poursuit au même rythme et en moins de trente minutes l’insecte se trouve muni d’une vraie paire d’ailes dont il peut faire un usage immédiat.

Chez la femelle, les choses se passent différemment. Ce sont les élytres rudimentaires (tegmina) qui subissent une croissance ultra rapide après la sixième mue. Ces "ailes" recouvrent presque en totalité l’abdomen mais ne sont apparemment d’aucune utilité à l’insecte. A noter que chez les femelles adultes de Ph. celebicum, les élytres cachent une paire d’ailes, inutiles aussi, car l’insecte est trop lourd pour pouvoir voler.

La croissance ultra rapide d’un organe pose des questions, pour y répondre on est tenté de faire le rapprochement avec la croissance des jeunes sitôt après l’éclosion, croissance que l’on observe également à vue d’oeil. Dans une publication du P.S.G. (Newsletfer n° 56, sept. 1993), un correspondant, M. B. Kneubuhler estime que, profitant de la souplesse temporaire de son exosquelette, le jeune pompe de l’air dans son corps. L’auteur fait une plaisante analogie avec un ballon enrobé de papier imprégné de colle liquide que l’on gonflerait. La colle ayant séché, il garderait sa forme.

Dans un même ordre d’idées, on admet que le papillon qui vient de s’extraire de sa chrysalide, dont les ailes sont molles et chiffonnées pompe de l’air et de l’hémo-lymphe (“sang”) vers les nervures et les trachées de ses ailes qui grandissent et se déploient.

La soudaine apparition - ab nihil - d’une paire d’aile, sur le dos d’un mâle de Ph. bioculatum me paraît être un phénomène d’un autre ordre. Rappelons que les insectes n’ont pas de poumons et qu’ils respirent par un réseau de fins canalicules (les trachées). Dès lors, où serait la "pompe" et dans quoi l’animal pomperait-il de l’air puisqu’il n’existe pas la moindre ébauche d’ailes ? En absence d’une structure gonflable, que doit-il se passer ? Au risque d’être contredit, j’estime que cette croissance fulgurante est due à une multiplication cellulaire ultra rapide, tandis que le déploiement de l’aile intervient sous l’effet des deux forces - bien connues en physiologie - que son la pression osmotique et la capillarité.

  • ACCOUPLEMENT

La parthénogenèse existe chez les phyllies ; elle serait même la règle chez Phyllium giganteum où le mâle n’a pas été décrit. Selon certains, il faudrait y voir une des causes du faible taux d’éclosions ainsi que de la fragilité des espèces. Dans un élevage, il est donc avantageux de disposer de plusieurs mâles susceptibles de s’accoupler et d’autant de femelles pour lesquelles débute la période de ponte. Intervient alors une difficulté liée à la grande différence d’espérance de vie d’adulte entre les femelles et les mâles. Elle se compte en mois pour les premières, en semaines pour les seconds. Autre difficulté, les femelles subissent six ou sept mues avant d’être adultes, les mâles seulement cinq. Dès lors, il faut compter sur la chance pour que coïncide dans un élevage, ne comptant que peu de représentants de chacun des deux sexes, la période favorable aux uns et aux autres.

J’ai observé que 12-15 jours pouvaient s’écouler entre un accouplement et la ponte des premiers oeufs. En général le mâle ne survit que peu de jours après s’être accouplé. La femelle en revanche, peut vivre plusieurs mois et ainsi pondre quelques centaines d’oeufs qui ont toutes chances d’être fécondés.

Précédant l’accouplement, le mâle de Ph. bioculatum demeure volontiers accroché fermement sur le dos de la femelle durant un jour ou davantage. Quant à l’accouplement proprement dit, il ne dure qu’une demi-heure environ et exige du mâle une certaine habilité car il est contraint à se livrer à une difficile contorsion pour entrer en contact avec l’orifice génital de la femelle qui est situé sous l’abdomen. La femelle ne semble guère émue par les assiduités de son partenaire car elle en profite généralement pour dévorer une entière feuille de ronce.

  • PEUT-ON "AIDER" LES PHYLLIES ?

Par cet article et ceux qui l’ont précédé, le lecteur aura pu se faire une opinion quant aux difficultés et aux déboires que l’on rencontre dans l’élevage des phyllies.

Il y aurait en réalité de quoi se décourager comme le disait naguère notre ami A. Deschandol. Toutefois, à force d’observations, les causes de ces difficultés deviennent peu à peu plus claires, moins illogiques, car elles apparaissent inhérentes à l’espèce. On se reprend à considérer l’élevage comme un challenge, une gageure dans laquelle on s’engage comme pour relever un défi.

Une question vient à l’esprit : comment l’éleveur peut-il intervenir pour que prospère l’espèce et que selon le titre de l’article "les phyllies dansent" ? La question est plus complexe qu’il n’y paraît. On peut effectivement intervenir mais avec doigté et modération. Un éleveur professionnel faisait remarquer récemment que les phyllies étaient des insectes particulièrement "émotifs", sensibles au stress, qu’il faut manipuler avec beaucoup de douceur et jamais inutilement, en particulier lors des nettoyages de la cage et du changement de nourriture. Les phyllies sont indolentes et n’aiment guère les déplacements ; elles ont probablement mauvaise vue et l’on ignore tout de leur odorat. On peut leur faciliter la quête de nourriture en disposant des feuilles fraîches à leur proximité.

Dans leurs rapports amoureux, on peut se faire un peu entremetteur. Le mâle semble un peu nigaud et bien souvent il ne voit pas ou ne sent pas une femelle pourtant proche de lui.

En conclusion, on peut aider les phyllies mais pas trop. Il semble que leurs mouvements chaloupés qui nous amusent tous seraient plutôt la manifestation d’une inquiétude collective qu’un signe de gaieté.

_Alors, que les phyllies dansent... mais pas trop.

Post Scriptum :
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[1] Newsletter du P.S.G. n° 37 pp 11-13.

[2] Newsletter du P.S.G. n° 38 pp 10-11.

[3] Rearing and Studying Stick and Leaf Insects. The Amateur Entomologist vol. 2, p. 46-48. Edited by Reg Frv.

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