Mécanisme de la mue chez les Phasmes
lundi 15 mai 2006
par Arno

F. Sordet

LE MONDE DES PHASMES n° 24 (Décembre 1993)

Comme nous le savons tous, les phasmes ont une croissance discontinue et grandissent en effectuant des mues, chacune faisant suite à une phase d’intermue durant laquelle l’insecte gagne en poids.

1 - STRUCTURE DES TEGUMENTS Les téguments des phasmes sont issus d’une seule couche de cellules vivantes : L’hypoderme (comme c’est le cas chez tous les Arthropodes). L’hypoderme sécrète une couche plus ou moins importante de téguments appelés cuticule (la cuticule est très mince au niveau des articulations). La cuticule se subdivise en 3 couches (figure n° 3) :

- la couche la plus externe : l’épicuticule, elle est extrêmement mince (environ 1 µm), mais elle assure le rôle fondamental d’imperméabilisation. Elle est composée de quatre couches, une couche externe de cément, une couche cireuse (imperméable), une couche phénolique et une couche de cuticuline.
- la couche médiane : l’exocuticule
- la couche la plus interne : l’endocuticule.

Ces deux dernières couches sont constituées de couches alternées de protéines (arthropodine plus ou moins tannée par des polyphénols, elle confère la résistance de la cuticule) et de chitine. La chitine est un polymère (polysaccharide) plus souple constitué d’un enchaînement très long de β-(1->4) N-acetyl-D-glucosamine (figure n° 1).

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β-(1->4) N-acetyl-D-glucosamine

L’endocuticule est plus riche en chitine et l’exocuticule en protéines très tannées (devenant cornées appelées dans ce cas sclérotine). Donc, chaque couche joue un rôle, l’endocuticule est responsable de la flexibilité du tégument, l’exocuticule apporte la rigidité et l’épicuticule l’imperméabilité. Les cires de l’épicuticule sont sécrétées peu avant la mue par de fins canalicules qui restent ensuite emprisonnés dans la cuticule durcie.

2 - LA MUE :

La mue comporte trois phases :
- une phase préliminaire peu visible (préexuviale)
- la mue proprement dite (l’exuviation)
- l’aprés mue (postexuviale).

- 1) La phase préexuviale La phase préexuviale précède la mue de seulement quelques jours (3 à 4 en général), elle n’est décelable que par le jeûne du phasme. Une fois cette phase déclenchée, la mue doit se dérouler jusqu’à la fin, sinon le phasme n’y survivra pas.

Cette phase est déclenchée par une hormone : l’ecdysone (figure n° 2).

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Figure n° 2 : Formule de l’ecdysone

L’ecdysone est sécrétée par les glandes prothoraciques, elle déclenche la synthèse du liquide exuvial permettant le décollement de l’hypoderme de la cuticule. Ce liquide agit grâce à des enzymes qui hydrolysent la cuticule par le dessous (figure n° 4). Seule la partie périphérique de l’ancienne cuticule est conservée et c’est de ce résidu que l’insecte devra se débarrasser lors de l’exuviation. C’est pourquoi on observe un ramollissement du tégument des phasmes juste avant leur mue. Pendant ce temps, les cellules de l’hypoderme se multiplient provoquant un plissement de celui-ci, puis une nouvelle cuticule souple est sécrétée pour combler l’espace laissé par l’ancienne hydrolysée par le liquide exuvial. L’hypoderme ainsi que la cuticule se déploieront correctement une fois la mue effectuée.

- 2) La phase exuviale

C’est elle qui correspond à la mue proprement dite. Elle n’est commandée par aucune hormone et fait obligatoirement suite à la phase précédente,

Le phasme va rompre ce qui reste de sa vieille cuticule en se gonflant d’air après avoir au préalable trouvé un bon support.

Sous la pression, la cuticule se rompt en des zones bien précises prévues à cet effet. Ces lignes de ruptures sont plus fragiles car à ces endroits le liquide exuvial n’a laissé que l’épicutile, cette couche très fine est de moindre résistance. La première zone à céder se situe au niveau de la jonction du thorax avec l’abdomen et c’est par là que le phasme s’extraira de son ancienne enveloppe.

- 3) La phase postexuviale

Durant cette dernière phase, l’insecte se développe en longueur et en volume, la nouvelle cuticule est tendue au maximum et "sèche". Si le phasme est ailé et qu’il s’agit de mue imaginale, alors ses ailes sont déployées aussi : une fois le tout durci par le tannage protéines l’insecte peut recommencer à se nourrir. En général chez les phasmes le taux d’allongement du corps est constant et est d’environ 15 (1,5 chez Clonopsis gallica (Charpentier 1825)) il peut varier entre 1.25 et 1,5 suivant les espèces. Ce chiffre est constant pour une espèce donnée mais aussi pour chacune des mues chez le jeune, la dernière mue (preimaginale) a, quant à elle, un coefficient généralement légèrement inférieur ( 1,3 chez Clonopsis gallica). Les différentes parties du corps des phasmes n’ont pas du tout la même croissance et le taux d’allongement peut-être extrêmement variable suivant les mues et l’organe considéré. Si la croissance d’un organe suit la croissance du corps on parle d’une croissance isométrique, sinon c’est une croissance allométrique.

Lors de la mue le phasme perd du poids, car d’une part il a cessé de s’alimenter depuis plusieurs jours et d’autre part parce qu’il a perdu son ancienne enveloppe. La première chose que le phasme va faire après cette mue c’est de manger son exuvie, ceci lui permettant de récupérer les éléments qu’elle contient, ce sera toujours cela de moins a refaire ! Ensuite le phasme va passer sa période d’intermue à se nourrir afin de prendre du poids (essentiellement musculaire) pour combler l’espace laisse par sa nouvelle . S’il n’est pas adulte, il recommencera une nouvelle mue dès que son corps se retrouvera a l’étroit.

CONCLUSION :

La mue des phasmes est bien plus compliquée qu’elle en a l’air et fait intervenir des mécanismes biochimiques complexes nécessitant une longue période de préparation. J’espère ainsi que les éleveurs réaliseront mieux les efforts intenses fournis par les phasmes sur le plan biologique et qu’ils comprendront mieux pourquoi il est important de ne pas les déranger pendant leurs mues.

Voir aussi cet article général sur la régulation hormonale de la mue chez les insectes ainsi que celui ci traitant d’un cas de nanisme chez un Acrophylla wuelfingi.

Post Scriptum :
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