Cannibalisme et réflexions sur les phasmes commettant des "erreurs"
lundi 8 mai 2006
par Arno

Emmanuel Delfosse

LE MONDE DES PHASMES n° 34 (Juin 1996) GROUPE D’ETUDE DES PHASMES

INTRODUCTION

Les phyllies n’en finissent pas de nous surprendre. Encore une fois, on doit se rendre à l’évidence, il ne faut réellement rien négliger lorsque l’on étudie les insectes. Et pourtant... Je n’ai pas dû suffisamment écouter les conseils de prudence de Monsieur Victor Spreter au sujet de l’éventuel cannibalisme des phyllies entre elles. II me pardonnera bien ces instants de doute car je n’ai jamais observé un tel comportement chez Phyllium bioculatum (Gray, 1832) et chez Phyllium celebicum (De Haan, 1842) : elles vécurent pendant plus de cinq mois en grand nombre dans le même terrarium.

L’exception, qui ne me paraît pas notable pour autant car c’est un cas unique, fut une femelle de Phyllium bioculatum au deuxième stade qui eût à faire face à l’ "agressivité" d’une autre femelle de la même espèce mais plus âgée (cinquième stade). Seule une minuscule parcelle de l’excroissance foliacée supérieure de l’abdomen fut grignotée. La victime ne sembla nullement en souffrir et atteint l’âge adulte sans aucune peine. Je qualifierais cet accident d’ "erreur", un accident que l’on retrouve d’ailleurs fréquemment dans les élevages de phasmes.

Des phasmes d’autres espèces vécurent également avec ces deux espèces de phyllies (pour des expériences diverses) et je n’observais pas d’accident particulier. II s’agissait notamment de Medauroidea extradentata (Brunner, 1907), Ramulus thaii (Hausieithner, 1985), Sipyloidea sipylus (Westwood, 1859), Phaenopharos sp. (Kirby, 1904),Extatosoma tiaratum (Macleay, 1827), Aplopus sp. (Gray, 1835), ...

Dans mes élevages de phasmes, il est nécessaire d’avouer qu’il manque parfois des morceaux de pattes, d’antennes, voire d’abdomens (...) mais en règle générale cela n’est pas excessif.

Pourtant, un Sipyloidea sipylus cannibale hanta mes terrariums et dévora furieusement les individus de sa propre espèce lorsqu’il devint adulte. Il négligea les autres espèces, pourquoi ? Et pourquoi cette réaction "insensée" seulement à l’âge adulte ? Je pense, quant à moi, qu’il était anormal. Je crois l’avoir bien observé et rien ne semblait le différencier de ses compagnons. Sa morphologie, ses organes externes et internes ne montrèrent rien de particulier qui puisse expliquer logiquement une telle réaction. Ces incidents que je qualifie d’ "erreurs" sont pour moi, bien souvent, synonymes de recherche : recherche d’eau, de nourriture, d’un complément vitaminique, d’un manque quelconque...

Lorsque les phasmes sont "stressés", certains ont tendance à chercher à se nourrir. Par exemple, on observe facilement et fréquemment ce genre de phénomène chez Extatosoma tiaratum. En des occasions particulières, lorsque l’on nettoie le terrarium et que l’on change les plantes, est-ce que les pattes de certains individus ne sont pas mises à contribution ? Il me semble que cela arrive, mais peut-on en faire une généralité pour autant ? Les victimes ne réagissent pas facilement, pourquoi ? Et ce, même si l’abdomen est presque entièrement dévoré ! Il semble également que les victimes les plus nombreuses soient les individus les plus faibles ou anormaux, bref tous ceux qui pourraient remettre en question la survie du groupe. Est-ce un hasard ?

Enfin, les pattes et les antennes dévorées ou même les abdomens, peuvent l’être à la suite d’une surpopulation du terrarium. C’est également fréquent dans les élevages de Lépidoptères ou chez d’autres Arthropodes. Lors de la bourse aux insectes de Paris en 1993, j’ai eu la chance de me procurer 3 jeunes femelles de Phyllium giganteum (Hausieithner, 1984) aux stades 1, 2 et 3 et une femelle de Phyllium bioculatum adulte. Par commodité pour le transport jusqu’à mon domicile, ils furent réunis. A mi-parcours, je m’apperçu qu’une petite partie de l’élytre droit de la femelle de Phyllium bioculatum manquait. En arrivant à ma demeure, l’attaque s’était aggravée car l’aile postérieure avait été un peu plus grignotée, ainsi qu’un morceau de la partie inférieure de l’abdomen. J’ai pu retrouver la coupable : la plus grande femelle de Phyllium giganteum. Heureusement la victime n’en soufra pas d’avantage et a beaucoup pondu. A l’époque, je pensais que le voyage avait "stressé" mes petites protégées, qu’elles avaient faim ou soif. Désormais j’ai des doutes quant aux véritables intentions de la "gourmande". Il semble ,qu’il n’y avait là qu’une seule coupable, peut-on en faire une généralité pour autant ? J’ai élevé les trois Phyllium giganteum pendant des mois sans introduire d’autres espèces de phasmes avec elles. Puis, lorsqu’elles furent respectivement adulte, subadulte et la dernière à un stade inférieur, j’ai disposé une jeune femelle de Phyllium bioculatum au premier stade dans leur terrarium. Trois semaines plus tard, alors que je change mes animaux tous les trois ou cinq jours, la petite Phyllium bioculatum avait mystérieusement disparue. Je ne trouvais pas de cadavre, ni aucune trace d’un petit corps...

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Cannibalisme ?
Photo B. Biron - au lendemain de la mue imaginale
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Phyllium sp
Photo - Bruno Biron

Je tentais à deux reprises cette expérience. Elles disparurent les unes après les autres, sans laisser de trace ! N’y avait-il qu’une coupable (la phyllie la plus âgée) ? Pourquoi dévorer ces jeunes Phyllium bioculatum ? Etaient-elles considérées comme des concurrentes ? Je tentais l’expérience avec trois Phyllium bioculatum au premier stade. Quand deux de ces trois jeunes disparurent, je retirais la survivante. Cette fois, je trouvais un abdomen ou du moins ce qu’il en restait. Ne désirant pas en rester là, je plaçais d’autres phasmes dans cette enceinte, notamment Extatosoma tiaratum et Baculum sp. (Saussure, 1870). Les Extatosoma tiaratum furent choisis du stade 1 au stade 4 (pas trop gros, car leur poids pourrait représenter un éventuel danger pour les pattes des fragiles phyllies) tandis que je pris des Baculum sp. à tous les stades. Les phyllies s’accommodèrent bien de ces "étrangers" et aucun accident ne fut noté.

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Phyllium sp
Photo - Bruno Biron

CONCLUSION

Phyllium giganteum pourrait-il être cannibale avec d’autres espèces de phyllies ? Je crois nécessaire de continuer les expériences pour en être absolument sûr. Mais si cela est vrai, pourquoi ne dévorent-elles pas les autres phasmes ? Et quelle est la raison de ce cannibalisme ? Elles ne manquaient apparemment pas d’espace pour vivre, ni de nourriture ou d’eau...

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Phyllium sp - Modèle adulte et nouveau né sur le dos.
Photo - Bruno Biron

BIBLIOGRAPHIE

- Bragg, P. (1992) Les coccinelles mangent des phasmes. Le Monde Des Phasmes, 18:6.

- Cappe de Bâillon, P., Le Chevalier, P. (1931) Recherches sur la tératologie des insectes II : la descendance des monstres de Phasmides. Encyclopédie Entomologique : 4-6, 14-15,281-282,288-289.

- Delfosse, E. (1994) Observations d’élevage. Le Monde Des Phasmes, 25 : 19-20.

- Guilbot, R. (1982) Elevage des papillons de leurs oeufs, chenilles et chrysalides (indigènes et exotiques). Société Nouvelle des Editions Boubée. page 66.

- Roubaud, P.E. (1989) Réponse à la question de E. Decker. Le Monde Des Phasmes, 6 : 45.

- Spreter, V. (1993) Pour que dansent les phyllies (suite). Le Monde Des Phasmes, 22 : 15-16.

- N.D.L.R. : Dans la nature, la compétition entre espèces animales est très marquée surtout entre espèces voisines. De plus, la compétition est intense entre les espèces ayant les mêmes niches écologiques, comme pour la lutte pour préserver un territoire. Il faut cependant rappeler que les études comportementales en élevage sont parfois grandement faussées.

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